
Tous les matins, au réveil, l’homme crie "Bonjour !" en ouvrant joyeusement les volets et se met involontairement à débiter des phrases dans un mauvais français à sa famille désemparée.
JC a 50 ans. Il est italien, vit en Italie… et est la parfaite caricature du Français. Celui des films de Godard des années 1960 et 1970, qui parle avec emphase, fait des grands gestes et affiche un flegme insolent. Il passe aussi son temps à regarder des films français, s’achète et dévore des classiques de la littérature hexagonale et ne jure que par la traditionnelle cuisine au beurre et à la crème.
Pourtant, JC l’affirme, il n’a jamais parlé français – bien qu’il en ait appris les bases il y a fort longtemps au lycée – et n’a d’ailleurs jamais non plus été attiré plus que ça par la culture française.
En réalité, le quinquagénaire souffre de ce que l’on appelle le syndrome de la langue étrangère, une affection médicale rarissime qui survient généralement à la suite d’un choc à la tête ou de lésions au cerveau. De le cas de JC – comme l’a surnommé, pour protéger son anonymat, l’équipe de la neuropsychologue italienne Nicoletta Beschin de l’Université d’Édimbourg à l’origine d’une publication sur son cas dans une revue scientifique –, c’est l’apparition d’une anomalie vasculaire qui l’a fait devenir, du jour au lendemain, français.
"Il utilise le français pour parler avec quiconque est prêt à l’écouter : ses parents italiens, désorientés, ses voisins de chambre à l’hôpital, le personnel soignant (…). Il prétend qu’il n’a jamais su parler français – ce qu’il fait, donc –, mais il réfléchit en français, regarde des films français qu’il n’avait jamais vus par ailleurs, achète de la nourriture française, lit des livres et des magazines français, mais n’écrit encore qu’en italien."
"Il utilise le français pour parler avec quiconque est prêt à l’écouter"
"Il ne montre non plus aucune forme d’irritation lorsque les gens ne le comprennent pas quand il parle", est-il rapporté dans l’article scientifique.
Les auteurs du rapport ajoutent que même si "son français est plein d’inexactitudes, il parle dans un rythme rapide, en employant une intonation exagérée et en utilisant une prosodie de film, faisant de lui la caricature d’un Français".
Euphorie et compulsivité
Si son histoire peut faire sourire, JC montre présente aussi d’autres troubles du comportement, plus difficiles encore à vivre pour ses proches qu’un passage brutal d’une langue à l’autre ou un changement de centres d’intérêt.
"Il fait l’objet d’illusions de grandeur, de troubles du sommeil et de comportements compulsifs, comme l’achat inutile de très grandes quantités d’objets. Par exemple, il avait besoin de deux cintres, il en a rapporté 70 ; il fabrique aussi des tonnes de pain, au grand dam de sa femme. Il est aussi sujet à une euphorie injustifiée, qu’il qualifie de "joie de vivre" : le matin, il ouvre les fenêtres et crie "Bonjour !", en affirmant que la journée va être merveilleuse.
"Il avait besoin de deux cintres, il en a rapporté 70"
Enfin, il manifeste des signes de désinhibition sociale, et propose d’organiser une tournée pour l’amie chanteuse de sa fille, adolescente, ou encore de donner des cours de français gratuitement à ses voisins."
Pathologie méconnue
Encore très mystérieux, le syndrome de l’accent étranger a commencé à être connu du grand public après la médiatisation, ces dernières années, de plusieurs cas répertoriés dans le monde : en 2008, une Américaine s’était réveillée avec un accent russe et s’était mise à faire des fautes de grammaire typiques de celles des Russes apprenant l’anglais ; en 2013, une Australienne s’était, elle, dotée d’un accent français après un accident de voiture, tandis que la même année, la BBC diffusait une émission sur une femme de Plymouth qui avait pris une sorte d'accent chinois.
Le premier cas du syndrome, lui, aurait peut-être été observé dès 1919, dans une étude tchèque.
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