Arrivé de Guantanamo en mai dernier, Lakhdar Boumediene, a accordé à FRANCE 24 un entretien exclusif. L'ex-détenu algérien y décrit ses difficiles conditions d'incarcération durant les sept années qu'il a passées dans le camp.
Lors d’un entretien exclusif qu’il a accordé à FRANCE 24, l’Algérien Lakhdar Boumediene, ex-détenu de Guantanamo, révèle que les gardes qui l’interrogeaient le savaient innocent, mais exigeaient qu’il témoigne contre d’autres détenus.
"Je leur ai répondu que je pouvais leur parler de ma vie mais non de celle des autres, déclare-t-il. Ils me demandaient de témoigner contre mes meilleurs amis."
La détention de Lakhdar Boumediene a pris fin le mois dernier, quand il fut libéré et envoyé en France, après plus de sept ans dans le camp de détention américain. Durant ces sept années, l’ancien détenu en a passé plus de deux ans en grève de la faim. Deux choses l’ont aidé à tenir malgré les difficiles conditions de détention : sa foi de musulman pratiquant et sa famille. "J’ai pensé à ma famille chaque jour durant ces sept ans. C’était ma force", confie-t-il. Agé de 42 ans, Lakhdar Boumediene est le père de deux fillettes.
Lakhdar Boumediene a travaillé pour le Croissant-Rouge en Bosnie, où il a obtenu la nationalité bosniaque. Soupçonné de complot contre les ambassades américaine et britannique à Sarajevo, il a été arrêté peu après les attaques du 11-Septembre.
Les autorités bosniaques ont rapidement abandonné les charges pesant contre lui et ordonné sa libération. Mais sous la pression de l’administration Bush, il a été transféré aux autorités américaines et envoyé à la prison de Guantanamo. A cette époque, il pensait que les autorités américaines ne mettraient pas longtemps à réaliser leur erreur et à le relâcher.
“Ma famille était ma force”
“Durant les six premiers mois, j’étais très coopératif. Je passais tous les jours cinq ou six heures à discuter avec eux pour prouver mon innocence, explique-t-il à FRANCE 24. Mais ils ne m’ont jamais rien demandé sur l’attentat contre l’ambassade de Sarajevo. Pas une seule fois en sept ans." Pour l'ancien détenu, ses interrogateurs semblaient davantage déterminés à établir un lien entre lui et Al-Qaïda, le réseau terroriste d’Oussama Ben Laden.
Lakhdar Boumediene décrit aussi les terribles conditions de vie du camp de détention. En particulier, celles qui prévalaient avant la construction des nouveaux bâtiments. "Au début, il n’y avait pas de prison, juste des barrières de barbelés et des cellules individuelles. Nous avions un seau d’eau pour boire, et un autre qui servait de toilettes. Quelques fois, nous ne pouvions dormir à cause de l’odeur."
L'Algérien raconte également qu’il a été enfermé des jours durant dans une cellule d’un mètre carré éclairé par d’intenses lumières. Il parle de semaines, de mois même passés en isolation sans voir ne serait-ce qu’une personne. "Quelques fois, on m’obligeait à courir avec un garde de chaque côté me tenant par les bras, et quand j’étais trop faitgué et que je trébuchais, ils me traînaient, relate-t-il. Ils voyaient que mes jambes saignaient mais n’en tenaient pas compte. Ils disaient que je devais répondre à leurs questions."
En 2004, Boumediene et son avocat lancent une procédure contre George W. Bush et des membres de son administration, dont Donald Rumsfeld, Dick Cheney et Alberto Gonzalez pour contester sa détention devant la justice. Le 12 juin 2008, la Cour suprême américaine statue sur le cas Boumediene et déclare, par 5 voix contre 4, que les détenus de Guantanamo ont le droit de contester leur détention. En novembre 2008, Richard Leon, juge d’une cour de justice d’Etat, établit que les preuves contre Boumediene sont très minces et ordonne sa libération.