
Après 25 ans passés en exil, Fadumo Dayib estime qu’il est temps pour elle de rentrer en Somalie et de reconstruire son pays. Pour y parvenir, cette mère de quatre enfants s’est déclarée candidate à la prochaine élection présidentielle.
Lorsqu’elle s’exprime en public et dans les médias, la douceur apparente de Fadumo Dayib peine à masquer la force de ses convictions. À 42 ans, dont vingt-cinq années passées en exil, elle a décidé d’être candidate à la prochaine élection présidentielle de Somalie, qui devrait se tenir en 2016.
En annonçant sa candidature en septembre 2014, cette femme au visage calme s’est fixée l’objectif de retourner en Somalie et d’y changer les choses. "Une obligation morale et un devoir civique" pour elle. Mais aussi le résultat d’une conviction : celle que tout est possible à qui s’en donne les moyens.
"Mon objectif est de dénoncer les inégalités qui existent en Somalie et ceci n’est possible qu’en engageant de véritables changements sociaux. C’est ce que je m’efforce de faire", confiait Fadumo Dayib à France 24, le 26 février.
>> À voir sur France 24 (anglophone) : "Meeting Fadumo Dayib, the first woman to run for Somali president"
Née au Kenya de parents somaliens, Fadumo Dayib est le douzième enfant que sa mère met au monde et le premier à dépasser le stade de la petite enfance. En 1989, la famille est déportée vers la Somalie. "Le plus beau cadeau que les Kényans m’aient fait", considère-t-elle. De ce retour naît le sentiment que la Somalie est la terre où elle doit vivre. Mais en 1990, lorsque la guerre éclate dans le pays, la famille doit partir de nouveau, pour l’Europe cette fois-ci.
À son arrivée en Finlande, Fadumo Dayib a 14 ans et ne sait ni lire, ni écrire. Déterminée, l’adolescente rattrape son retard. Diplômée en santé publique et développement international, elle rejoint l’Unicef en 2005, en tant que professionnelle de santé publique.
Aujourd’hui mère de quatre enfants et doctorante à l’université d’Helsinki, elle raconte que c’est l’expérience de la reconstruction du Liberia après la guerre à laquelle elle assiste en tant qu’employée des Nations unies qui lui a inspiré la volonté d’une reconstruction durable pour son pays.
"J’ai dit au revoir à mes enfants"
En tant que femme issue de la diaspora, Fadumo Dayib se dit consciente des obstacles à affronter pour atteindre la plus haute magistrature en Somalie. Et en premier lieu, celui de la sécurité. Chassés de Mogadiscio en août 2011, les islamistes shebab continuent à combattre le fragile gouvernement somalien, soutenu par la force de l'Union africaine en Somalie (Amisom).
Leur milices contrôlent toujours de nombreuses zones rurales et restent une menace pour la sécurité en Somalie et dans les pays voisins, notamment au Kenya. Confrontés à la puissance de feu supérieure de l'Amisom, les islamistes refusent le plus souvent le combat conventionnel au profit d'opérations de guérilla et d'attentats suicides. Le 28 février, un attentat à Baidoa, dans le sud-ouest du pays a fait au moins 30 morts. Deux jours plus tôt, 14 personnes avaient trouvé la mort dans l'attaque d'un hôtel de la capitale, Mogadiscio.
Par ailleurs, le pays, souffre encore des conséquences de la guerre, et son économie est très largement dépendante des aides internationales. La sécheresse a aggravé la situation, créant une insécurité alimentaire structurelle.
Malgré les risques d’attentats, Fadumo Dayib s’est rendue en Somalie en janvier 2016. Un retour délicat dans un pays aux traditions encore très patriarcales. Invitée d’un débat du "Monde Afrique" le 23 février 2016, Fadumo Dayib confiait avoir reçu des messages de haines et des menaces de mort à la suite de l’annonce de sa candidature. Elle expliquait également avoir fait son testament à la veille de sa visite en Somalie, et dit au revoir à ses enfants, craignant de ne pas revenir. "Al-shebab ainsi que d’autres groupes pensent que la place d’un femme est soit à la maison, soit dans une tombe", a souligné la candidate sur France 24
"Elle aura du mal à devenir présidente"
Dans un pays régi par un système clanique dominé par les hommes, la candidature d’une femme qui revendique son désir de changement dérange. Les soutiens se font discrets et le financement de sa campagne par crowdfunding dépend de la générosité des donateurs qui croient en elle.
Pour Ahmed Omar Ibrahim, consultant et spécialiste de la politique somalienne interrogé par RFI, Fadumo Dayib "a bien sûr le droit d’être candidate, mais elle aura du mal à devenir présidente". Notamment en raison du manque de soutien des clans dont l’autorité tient une place importante dans la vie politique, selon le chercheur.
Mais ce n’est pas tant la victoire qui importe à Fadumo Dayib que le vent de changement qu’elle aura su insuffler. "Pour moi, l’élection de 2016 n’est qu’un début", confie-t-elle au "Monde".