Les 12 pays membres de la future zone de libre échange du Pacifique ont adopté l’accord final d’un traité qui est critiqué de toute part. Les principaux gagnants de ce texte seraient les multinationales.
Ils ont signé les 6 000 pages qui donnent naissance à la plus vaste zone de libre-échange du monde, jeudi 4 février à Auckland, en Nouvelle-Zelande. Les négociateurs des 12 pays concernés par le TPP (Trans Pacific Program) - États-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande - discutaient depuis 2008 sur une disparition des droits de douanes concernant d’importants volets de leurs économies, afin de doper le commerce.
Cet accord ne marque cependant pas encore l’aboutissement de l’histoire du TPP. Le texte doit encore être ratifié par les parlements des 12 pays membres, et la tâche s’annonce des plus ardues. Car ce traité de libre échange a réussi à mettre tout le monde - ou presque - d’accord contre lui. Les principaux candidats à l’élection américaine (d’Hillary Clinton à Donald Trump) y sont opposés, la Chine voit l’accord d’un mauvais œil, des représentants de l’ONU l’ont vivement critiqué et plusieurs économistes dénoncent un effet attendu limitée pour la plupart des États signataires.
Aux États-Unis, les candidats d’accord pour ne pas être d’accord. Pour la crédibilité du TPP, une ratification du texte par les États-Unis est essentielle. Le président Barack Obama y est favorable… mais il est bien seul. La favorite démocrate Hillary Clinton trouve beaucoup à redire au texte “dans sa forme actuelle”. Son adversaire de gauche, Bernie Sanders, dénonce un traité qui fait le jeu des multinationales, et le républicain Donald Trump ne voit pas l’intérêt de l’accord pour les travailleurs américains.
Il faudrait donc que le TPP soit ratifié avant les élections de novembre 2016. Problème : les républicains, majoritaires dans les deux chambres, ont laissé entendre “qu’il y a encore beaucoup de travail à faire [sur ce texte]”. Les parlementaires opposés à l’actuel président semblent prêts à laisser traîner le dossier jusqu’aux élections pour ne pas laisser Barack Obama partir avec une dernière victoire politique.
Un prix Nobel et l’expert aux droits de l’Homme de l’ONU contre les multinationales toutes puissantes. Une clause précise du traité a suscité de vives critiques : le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Il permet aux entreprises privées de poursuivre devant des tribunaux d’arbitrage internationaux des États dont la réglementation contrevient à l'une des nombreuses dispositions comprises dans les 6 000 pages du traité. Les pays signataires n’ont, en revanche, pas la possibilité d’attaquer en justice des entreprises dont les activités seraient contraires au TPP.
C’est ce qui en ferait “un traité à tuer”, pour le prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz et un texte “qui présente des défauts fondamentaux”, d’après un expert du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme. La possibilité offerte aux entreprises de contester des lois en se fondant sur un traité négocié en secret serait, pour eux, un affront aux principes démocratiques.
Pourtant ce genre de clause existe dans de nombreux accords commerciaux déjà en vigueur. Mais aucun n’a un champ d’application aussi vaste : le TPP concerne 2 400 milliards de dollars d’échanges commerciaux par an et couvre des secteurs aussi divers que l’agriculture, l’industrie pharmaceutique ou encore les nouvelles technologies et le secteur automobile.
La Chine contre-attaque. “Nous ne pouvons pas laisser des pays comme la Chine écrire les règles de l’économie mondiale”. C’est en ces termes que le président américain Barack Obama a justifié l’urgence de signer le TPP, en octobre 2015. Pékin est, en effet, exclu de ce traité, voulu par Washington pour contrebalancer l’influence chinoise en Asie.
Une position commercialement hostile qui n’est pas du goût de la superpuissance asiatique. Elle a donc mis en chantier, depuis 2012, son propre projet de zone de libre échange concurrent qui couvre le même espace en Asie. Le traité final doit être signé entre les 16 pays membres en novembre 2016. Ces deux dispositifs pourront-ils subsister côte à côte ?
Des économistes dubitatifs. Un effet plutôt positif pour le commerce et la croissance, mais neutre pour l’emploi dans la plupart des pays.
Ce sont les Vietnamiens et les Malaisiens qui ont le plus à gagner dans l’histoire : leur économie devrait croître de 23,7 % et 6,4 %, respectivement, d’ici à 2025 grâce à la hausse des échanges et aux délocalisations d’activités dans ces pays à faible coût de main d’œuvre, d’après les économistes américains Peter Petri et Michael Plummer, qui suivent les négociations du TPP depuis le début. C’est bien plus que pour les États-Unis (+0,5 %) ou le Japon (+0,3 %).
Selon eux, les délocalisations en Asie devraient se faire au détriment essentiellement des ouvriers américains. Ils assurent pourtant que l’emploi aux États-Unis ne devrait pas souffrir de l’application du TPP. La fin de mesures protectionnistes dans un grand nombre de secteurs de pointe (pharmacie, technologie) en Asie doit se traduire par une hausse de l’emploi très qualifié et bien rémunéré aux États-Unis. En clair, les Japonais ou Sud-Coréens voudront et pourront acheter davantage de produits made in Silicon Valley (qui seront moins chers).
D’autres sont beaucoup moins sûrs que le coup de pouce aux secteurs de pointe américains soit suffisant pour contrebalancer les destructions d’emplois par ailleurs. L’économie américaine devrait perdre près de 450 000 postes au total en dix ans après l’application du TPP, d’après une étude publié en janvier 2016 par des économistes de l’Université de Tuft (près de Boston). Ces chercheurs se montrent aussi pessimistes pour d'autres pays. Ils estiment que ce traité de libre-échange va détruire plus de 770 000 emplois dans le monde, notamment à cause de l’impact négatif sur les économies européennes qui ne participeront à cette gigantesque zone de libre-échange.