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Christiane Taubira ne le cache pas, elle n'est pas en faveur de la réforme qui élargira la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français. Elle devra pourtant la défendre devant les parlementaires. Une situation délicate.
Le "cas" Christiane Taubira. C’est souvent ainsi que l’on fait référence à la garde des Sceaux qui n’hésite pas à afficher son désaccord avec le gouvernement, sans toutefois le quitter.
Tout en affirmant sa loyauté au président, elle a réitéré à plusieurs reprises ces dernières semaines son désaccord avec l’élargissement de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français et qui seraient condamnés pour terrorisme. Une mesure dont "l’efficacité " serait selon elle "absolument dérisoire". Or, François Hollande veut l’inscrire dans la Constitution.
La ministre n’en est pas à sa première prise de position à contre-courant mais, cette fois, sa position crée un "vrai malaise" au sommet de l’exécutif, selon Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement. Plus qu'un désaccord gouvernemental, la situation prend une allure inédite : une ministre régalienne ouvertement opposée à un texte qu’elle devra défendre devant les parlementaires.
Du pain béni pour l’opposition
L’opposition, Les Républicains en tête, n’a pas tardé à s’emparer de la polémique, taclant la "cacophonie" gouvernementale et réclamant la démission de la ministre, déjà cible privilégiée des critiques, notamment depuis la loi sur le "Mariage pour Tous".
Voir la ministre qualifier la politique menée par Hollande de "'dérisoire en terme d'efficacité', ça en dit long sur le fait que même jusqu'au sommet de l'État, personne ne croit à ce que le président de la République et le gouvernement mettent en œuvre", a de son côté ironisé Thierry Solère pour Les Républicains. "François Hollande doit mettre un terme à ce désordre", a renchéri Luc Chatel, député Les Républicains de la Haute-Marne et proche de Nicolas Sarkozy.
"Je ne fais pas mystère de ma position. Mais la parole première et dernière est celle du Président" #TirsCroisés
— Christiane Taubira (@ChTaubira) 7 Janvier 2016Pour François Bayrou, "c'est une situation intenable". "Vous ne pouvez pas avoir un gouvernement qui présente un texte aussi fondamental qu'un changement de la Constitution [...] et avoir le garde des Sceaux qui doit défendre ce texte et qui affiche publiquement son opposition au texte. Imaginez le débat !", a dénoncé vendredi le président du Modem sur RTL. "On est dans une crise politique, une crise gouvernementale et cette crise gouvernementale, elle doit se trancher soit par le fait que Mme Taubira retire ses propos, ce que je n'imagine pas qu'elle pourrait faire, soit qu'elle quitte le gouvernement", a-t-il poursuivi. Une option que ni la principale intéressée ni le chef du gouvernement ne semble envisager.
Pour François Hollande, il serait très coûteux de se séparer de Taubira
S’il s’est séparé d’autres ministres qui avaient fait des vagues par le passé, le gouvernement a pour l’instant fermé les yeux sur les désaccords affichés avec Taubira. Selon Bruno Cautrès, chercheur au CEVIPOF et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), "Christiane Taubira, beaucoup plus que Delphine Batho ou même Arnaud Montebourg, est une icône de gauche". Et d'estimer : "Il serait très coûteux de se séparer d'elle pour François Hollande, au moment où la gauche semble en perte de ses repères et où de nombreux électeurs de gauche, surtout hors du PS, se posent de sérieuses questions sur la direction économique de Macron et les lois sécuritaires post-attentats".
Respectée des "frondeurs" du PS et de la gauche de la gauche, et icône de la gauche depuis le "Mariage pour tous", Christiane Taubira, cible privilégiée de la droite et de l'extrême droite, s'est à plusieurs reprises retrouvée en délicatesse avec l'Élysée et Matignon depuis son arrivée place Vendôme en 2012. Mais dans la logique présidentielle de la Ve République, poursuit le chercheur, "on ne peut, comme ministre, défier le président ou le Premier ministre sans que cela n'ait de conséquences". Manuel Valls qui a déjà fait les frais du franc-parler et de la ténacité de la garde des Sceaux, lors de la réforme pénale en août 2013 notamment, a fait montre de fermeté vendredi soir à Évry. Interrogé sur l’hostilité réitérée de Christiane Taubira à la réforme, il a répondu qu'il n'y avait "qu'une seule ligne possible, c'est celle qui avait été définie par le président de la République". "Chacun doit s'y tenir", a-t-il rappelé, assurant que le gouvernement était "soudé" dans "la lutte contre le terrorisme et la protection des Français".
Le statu quo ne pourra donc durer éternellement, estime Bruno Cautrès qui s’attend à du changement à court terme. Il ne serait pas étonnant de voir Christiane Taubira hériter du ministère de la Culture où d’un siège au Conseil constitutionnel, dont trois membres doivent être renouvelés avant le printemps. Reste à savoir si Christiane Taubira souhaitera ou pas un changement de portefeuille ministériel ou simplement quitter le gouvernement. "Dans tous les cas de figure, il y aura un coût pour François Hollande qui alimente ainsi son image d'indécis, alors même qu'il ne cesse de vouloir montrer qu'il s'est muté en 'chef de guerre'."