À deux semaines de l'élection présidentielle, la Centrafrique a organisé dimanche un référendum émaillé de violences. De quoi faire craindre des débordements lors du scrutin du 27 décembre. Le point avec Lewis Mudge, chercheur à Human Rights Watch.
Après plusieurs reports de scrutin, la Centrafrique est-elle prête pour organiser l’élection présidentielle qui doit se tenir le 27 décembre prochain ? Deux semaines avant cette échéance cruciale, un référendum aux allures de scrutin test a été organisé, dimanche 13 décembre, dans le pays. Il portait sur un projet de réforme de la Constitution, incluant notamment la réduction du nombre de mandats présidentiels, première étape d’un processus électoral censé sortir la Centrafrique de trois ans de violents affrontements intercommunautaires.
Ce vote, qui a été prolongé lundi dans certaines zones et dont le résultat n’était toujours pas connu mardi, s’est déroulé dans une atmosphère "chaotique" dans certaines zones, a rapporté le correspondant de France 24 à Bangui, Anthony Fouchard. Des combats à l’arme lourde ont eu lieu à PK5, quartier musulman de la capitale, et plusieurs incidents violents ont été rapportés en province. Au total, les violences ont fait cinq morts et une vingtaine de blessés.
De quoi alerter sur la sécurité des élections présidentielle et législative du 27 décembre, d’autant plus que des rebelles, ex-membres de la Séléka, majoritairement musulmans, ont déjà annoncé leur intention de perturber le vote dans le Nord. Éclairage avec Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch, spécialiste de la Centrafrique.
France 24 : Le scrutin de dimanche dernier a été émaillé de violences. Quel bilan en tirez-vous par rapport à la présidentielle dans deux semaines ?
Lewis Mudge : Il y a eu des violences durant le vote mais cela est resté très localisé. Elles ont eu lieu à Gobongo et au PK5, deux quartiers de Bangui, à Kaga Bandoro [à 245 km au nord de Bangui, NDLR] et à Bossangoa [fief anti-balaka, à majorité chrétienne, dans l'ouest, NDLR]. On aurait pu s’attendre à pire, surtout après les violences qu’a connues le pays en septembre [le pays s’était embrasé durant cinq jours entre le 25 septembre et le 1er octobre, faisant au moins 31 morts, NDLR] et plus récemment en octobre.
Les Nations unies se félicitent du déroulement de ce scrutin. Le simple fait qu’il ait eu lieu est en soi un succès, d’autant plus que les électeurs ont été informés tardivement du contenu même du projet de Constitution. [Les opérations se sont déroulées normalement dans environ 80 % des bureaux de vote du pays, notamment dans sud et l'ouest, a déclaré le chef adjoint de la mission de l'ONU en Centrafrique, NDLR].
En ce qui concerne la présidentielle, cela sera plus difficile, mais on ne peut rien anticiper pour l’instant. Le déroulé du vote va en grande partie dépendre de la campagne présidentielle qui vient tout juste de commencer, et nous ne savons pas encore quelles sont les idées défendues par les différents candidats. Certains vont peut-être inciter à la haine envers les musulmans : politiquement, c’est une stratégie facile. Ces deux semaines vont être décisives.
Où en est la situation sécuritaire en Centrafrique ?
En matière de sécurité, la Centrafrique n’est absolument pas prête pour ce scrutin présidentiel. La moitié du pays est contrôlée par la Séléka. Au cœur de la capitale, à Bangui, certaines zones échappent encore au contrôle des forces internationales, comme le camp de réfugiés situé à proximité de l’aéroport. Là-bas, des femmes se font violer, des personnes sont retenues en otages.
>> À lire sur France 24 : "Chrétiens et musulmans sont frères", affirme le pape François à Bangui
Il y a des rebelles qui ne veulent tout simplement pas que la Centrafrique organise des élections car ils ne veulent pas d’un gouvernement qui collabore avec la Minusca [mission de l'ONU en Centrafrique, NDLR] et Sangaris [force militaire française dans le pays, NDLR] ou qui mette en place une cour pénale pour juger les exactions commises. C’est le cas de Nourredine Adam, chef rebelle ex-numéro deux de la Séléka, qui a prévenu qu’il s’opposerait à la tenue des élections dans sa région du Nord.
Malgré cette situation tendue, la communauté internationale a tout de même décidé que l’élection aurait lieu le 27 décembre. Elle mise sur le fait qu’un gouvernement démocratiquement élu aidera à apporter de la stabilité. Le pays n’est pas forcément préparé pour ce vote en matière de sécurité mais, d’un autre côté, il ne le sera pas plus en 2016.
Dans le Nord-Est, l’une des zones où des personnes ont été empêchées de voter dimanche, un porte-parole de Nourredine Adam a déclaré, mardi 15 décembre, un État autonome, "La République du Logone". Quels peuvent être les impacts de cette situation sur le scrutin présidentiel ?
Nourredine Adam est déterminé depuis des mois à gâcher ces élections, aujourd’hui, il passe à l’action. Le vote dans le Nord va être rendu très compliqué pour la population [lors du référendum, les habitants ont été intimidés par des tirs et des menaces et ne se sont pratiquement pas rendus dans les bureaux de vote, NDLR]. Le fait qu’ils puissent se rendre aux urnes représente un enjeu crucial dans cette élection. D’autant plus que, s’ils ne le peuvent pas, cela pourrait avoir un impact sur la légitimité du gouvernement élu. Une telle situation pourrait servir de prétexte à certains groupes pour entrer en dissidence.