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À Guindrecourt-sur-Blaise, seul le FN est dans le pré

envoyée spéciale à Guindrecourt-sur-Blaise – Sur les 21 électeurs de Guindrecourt-sur-Blaise, petit village de Haute-Marne, 18 ont voté pour le FN. Loin des questions liées aux migrants et aux attentats, les habitants redoutent surtout de tomber dans la pauvreté. Reportage.

Lundi 7 décembre, 16 heures. Pascal Demerson est un homme demandé. "Ah, encore une journaliste ! Jamais vu autant de médias chez moi !", raille gentiment le maire de Guindrecourt-sur-Blaise, en regardant une poignée de voitures - trois, tout au plus - se garer devant l’église de sa commune. "Pour une fois, on ne vient pas par ici pour voir le général de Gaulle, mais pour me voir, moi !", ajoute-t-il en riant.

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Au lendemain du premier tour des élections régionales, l’édile du village (divers droite) peut en effet se targuer de faire un peu d’ombre au premier président de la Ve République, enterré à une dizaine de kilomètres de là, à Colombey-les-deux-Églises. Dans son village haut-marnais de 45 âmes, la très grande majorité de ses administrés a choisi de glisser dans l’urne un bulletin du Front national (FN). Ici, Florian Philippot, tête de liste de l’extrême droite en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, a raflé 90 % des suffrages exprimés. Un record pour le parti qui, même s’il est en tête dans la région avec 35 % des voix, enregistre ici son meilleur score national.

"Cela fait des années que je vote FN, je ne m'en cache pas"

Certes, le score du FN ici n’est pas vraiment une surprise. Lors de la présidentielle de 2012, le FN avait déjà enregistré dans ce même village un score important au premier tour (60 %). Et puis, les résultats de ces élections régionales, pour peu qu’ils soient analysés numériquement, sont moins impressionnants : ils ne concernent que 18 personnes sur 21 votants. Il n’empêche, ce score fait de Guindrecourt-sur-Blaise une commune d’exception en France. Sur l’ensemble des participants au scrutin, seuls trois votants n’ont pas soutenu le FN. Dans cette commune où l’abstention atteint 43,24 %, moins que la moyenne nationale (50,9 %), la liste souverainiste Debout la France a récolté une voix, celle de l’union de la gauche une autre et un électeur a voté blanc.

"Des rebelles, sûrement", plaisante Fanny Misa, une habitante du village, également conseillère municipale. À 34 ans, cette intérimaire, enceinte de son deuxième enfant, assume sa préférence frontiste. Pas question de se cacher derrière un vote "sanction", puisque de toute façon les partis traditionnels, elle ne les a jamais soutenus. "Cela fait des années que je vote FN, je ne m’en cache pas. Et mon mari aussi vote pour eux", explique-t-elle en se focalisant sur la peur de l’avenir. "Je veux qu’on aide les Français. C’est tout. C’est déjà assez dur pour nous, alors qu’est-ce que ce sera pour mes enfants ? J’ai peur pour eux, peur qu’ils ne trouvent pas de travail, peur qu’ils ne s’en sortent pas".

En Haute-Marne, pourtant, les chiffres du chômage sont plutôt stables. Ils sont légèrement plus bas que la moyenne nationale : 9,7 % selon l’Insee, contre 10,5 % à l’échelle du pays. En 2014, c'est même le seul département français où le chômage a reculé.

"Quand vous voulez que les gens votent pour vous, la moindre des choses c’est de se déplacer"

Pascal Demerson, assis devant la mairie en travaux, acquiesce. Lui aussi a voté FN. Ça n’a pas toujours été le cas. Mais cette fois, c’est avant tout l’orgueil qui a parlé : "Florian Philippot, c’est le seul qui est venu ici coller une affiche pour les élections. Le seul ! Les autres, rien ! Vous imaginez l’image que cela nous renvoie ? Ce n’est pas parce qu’on est petits, que nos votes ne valent rien", s’emporte-t-il. Sur les tableaux installés dans la grande rue du village, force est de reconnaître que seul le visage de la tête de liste FN est visible. Les autres panneaux plantés devant la mairie, sont désespérément vides. "Franchement, un autre candidat serait venu coller son affiche, serait venu nous parler, je vous jure que j’aurais hésité à lui donner ma voix, qu’importe son bord politique. Quand vous voulez que les gens votent pour vous, la moindre des choses c’est de se déplacer."

Le maire, ouvrier à la fonderie GMH dans la ville voisine de Sommevoire (Haute-Marne), est aussi inquiet pour l’avenir. Il redoute, entre autres, que la paupérisation du milieu rural ne vienne "tuer" sa commune. "Nos villages se vident, nos commerces s’éloignent", se désole-t-il. Mais ce que l’édile craint surtout, c’est l’aggravation de "l’injustice sociale". "Je bosse à l’usine, et je gagne à peine plus que le smic, quand certains se contentent de profiter des allocations qu’on leur offre", enchaîne-t-il. "Quand on entend à la télé ce qui se passe, c’est hallucinant. À croire que l'on ne s'occupe que des chômeurs, pas des plus méritants".

Sa femme Christine, partage la même colère. "J’en ai marre qu’on aide toujours les mêmes, les cas sociaux, les profiteurs… Je gagne 1 000 euros par mois en moyenne, à deux, on touche à peine 3 000 euros et on a cinq enfants", explique cette intérimaire, ancienne chauffeuse routière, tout en supervisant les devoirs de ses enfants. "Ici, on n'aime pas les gens qui ne travaillent pas, c'est tout. On n'aime pas les gens qui, avec leurs aides, achètent des écrans plats et n'éduquent pas correctement leurs enfants", ajoute cette mère de famille qui précise le plus naturellement du monde que son père fut dans les années 1980 un fervent mitterrandiste.

"Ils retirent le porc dans certaines écoles, ça m’embête"

Dans les discours de justification de leur vote, peu de Guindrecourtois font référence aux thèmes de l’immigration, de l’insécurité ou du terrorisme, des sujets pourtant chers au FN. "Le problème ici, ce n'est pas l'islam, si c'est ce que vous voulez savoir", indique Christine.

Seule Fanny, la conseillère municipale, fait de temps à autre des remarques sur des sujets que l'extrême-droite a coutume d’aborder dans ses meetings : "Ils retirent le porc dans les écoles, et ça, moi, ça m’embête", s’inquiète-t-elle par exemple en parlant avec un voisin. "Tes enfants sont concernés ?", rétorque ce dernier. "Non, mais c’est ce qui se passe ailleurs, et ça m’embêterait que ça se produise ici…"

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Parfois aussi, des boutades fusent. "Des migrants ici ? Mais ils seraient accueillis à coup de fusil !", lâche le maire en riant, avant de s’interrompre, devant le silence gêné des journalistes.

Colette*, Guindrecourtoise de 87 ans, attablée devant un poêle qui (sur)chauffe sa maison, tente, de son côté, d’expliquer pourquoi les attentats du 13 novembre - dont on a dit qu’ils auraient pu favoriser le score FN – n’ont eu aucun impact dans la commune. "C’est simplement qu’on n’a pas les mêmes préoccupations", indique-t-elle. "Nous n'avons pas été insensibles à ce qui s'est passé à Paris, mais ici, ce qui nous intéresse en priorité, c’est de savoir comment les jeunes vont trouver du boulot sans faire des kilomètres, c'est de savoir comment vivre avec nos retraites de misère".

"Mon meilleur ami est marocain, mon ancienne compagne kabyle"

Même justification à l’évocation de la crise migratoire. Les immigrés clandestins sont des gens "malheureux, c’est vrai". Mais "on ne pourrait pas les aider dans leur pays ? Je préférerais qu’on s’occupe de nos agriculteurs. Parce qu’ils triment toute leur vie pour pas grand chose", ajoute-t-elle. Paulette, sa voisine, partage le même âge et les mêmes idées. "Il faudrait que ca change, non ? Si le FN passait au deuxième tour, ça ne  m’embêterait pas du tout".

À l'entrée du village, seul Éric*, cadre d’une quarantaine d’années chez Suez Environnement, explique qu'il a voté FN pour des raisons culturelles et non sociales, parce qu'il est "important de conserver les valeurs françaises". Rien à voir avec du racisme, jure-t-il. "Mon meilleur ami est marocain, mon ancienne compagne est kabyle", tient-il à préciser. "Le problème, c’est que beaucoup de gens voient les frontistes comme des incultes, des barbares. Nous ne votons pas FN pour débarrasser la France des musulmans. Il faut arrêter d’avoir peur de ce parti. Ils n’affichent pas publiquement des croix gammées."

Éric estime que si la plupart de ses voisins ont voté frontiste c’est parce que "la situation en France ne peut pas empirer". "Après des années de laxisme [des gouvernements de droite et de gauche], peut-on encore s’étonner que le FN fasse de tels scores ?". À Charmes-en-l’Angle, à 10 minutes de voiture de Guindrecourt-sur-Blaise, où l’on partage les mêmes terres et traverse la même crise, les trois électeurs qui se sont exprimés ont fait un choix radicalement différent, n’accordant aucune voix au Front national.

*Certains prénoms ont été modifiés