Les Vénézuéliens se sont rendus aux urnes, dimanche, pour des législatives qui pourraient marquer un tournant historique pour les chavistes au pouvoir depuis 16 ans, l'opposition étant grande favorite de ce scrutin.
Près de 20 millions d'électeurs vénézuéliens, qui étaient appelés à élire leurs députés dimanche 6 décembre, pourraient bien porter un coup sévère au courant chaviste au pouvoir. L'opposition, portée par la crise économique et l'insécurité chronique qui gangrènent le pays, est en effet la grande favorite du scrutin, tant le climat de défiance et le mécontentement populaire sont élevés.
Rassemblée au sein de la Table pour l'unité démocratique (MUD), elle a de fortes chances de rafler la majorité parlementaire pour la première fois depuis l'élection en 1999 du président Hugo Chavez, décédé en 2013 et auquel Nicolas Maduro a succédé.
"La situation économique et sociale, très dégradée, offre une fenêtre de victoire électorale à l'opposition", explique à l’AFP Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l'Amérique latine à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, dans un climat de "désordre économique, difficultés de la vie quotidienne et insécurité de plus en plus grande".
Autrefois l'un des pays les plus fortunés d'Amérique du Sud, le Venezuela a vu son économie s'effondrer au même rythme que les cours du pétrole, quasiment son unique richesse. Vendredi, le brut vénézuélien atteignait son plus bas en sept ans, à 34,05 dollars le baril. Un phénomène qui se traduit pour les habitants par des pénuries et une inflation avoisinant les 200 % selon les experts.
"Aujourd'hui, tout le monde est là pour réagir", pour "une réaction forte du peuple face à la grave situation que nous vivons", confiait William, 55 ans, patientant devant un bureau de vote de Chacao, quartier de l'est de Caracas.
"Même le dentifrice est dur à trouver !", ajoutait-il. Tous les vendredis, il va d'un supermarché à l'autre, de 7 heures à 15 heures, à la recherche de produits aussi basiques que du riz ou du papier toilette.
Non loin, Filros, employée de restauration rapide de 24 ans, résumait le sentiment d'une partie de la population. Elle votait auparavant pour le parti du président, le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) [qui soutient la Révolution bolivarienne], au pouvoir : "J'aimais son idéologie: le socialisme, une société égalitaire, sans exploitation". "Maintenant ce qui m'occupe, ce sont les thèmes de la vie quotidienne. On ne peut pas voter pour le gouvernement, quand on a du mal à survivre".
"Un vote de punition"
Signe avant-coureur d’une défaite annoncée du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), au pouvoir, le MUD est crédité de 14 à 35 points d'avance dans les sondages. "Nous vaincrons !", clamait néanmoins, le 3 décembre, le président Nicolas Maduro, au terme d’une campagne houleuse, tout en qualifiant les membres de l'opposition de "paresseux et incapables", porteurs d'un "faux changement".
S'il a assuré qu'il sera "le premier à reconnaître les résultats", il a prévenu qu'il "n'abandonner(a) jamais la révolution". Pourtant, de sa capacité à accepter une éventuelle débâcle dépendra le risque de troubles autour du scrutin, 18 mois après des manifestations violentes ayant fait, officiellement, 43 morts. Le 25 novembre, un dirigeant de l'opposition a été tué par balle lors d'un meeting de campagne dans l'État de Guarico, dans le centre du pays.
Simon Pellet-Recht, journaliste indépendant au Venezuela, explique à France 24 que, si l’opposition gagne les élections et devient majoritaire à l’Assemblée, "elle pourra voter des lois contre la corruption, des lois pour libérer ce qu’elle appelle des prisonniers politiques, mais aussi demander aux ministres de paraître devant l’opposition et de rendre des comptes."
"Cela va être un vote de punition", prévient David Smilde, expert du Bureau de Washington sur l'Amérique latine (WOLA) ayant vécu une vingtaine d'années à Caracas. Tout en ne prédisant qu'"une majorité simple" à l'opposition, en raison d'un découpage électoral favorisant le pouvoir en place, il estime que le PSUV fera tout pour réduire la portée de sa défaite.
Sans compter que le système de pouvoir au Venezuela est présidentialiste, ce qui laisse une ample marge de manœuvre au camp du président Maduro pour limiter les conséquences politiques d'une possible déroute dimanche. La présidence pourrait notamment essayer de réduire le pouvoir des députés en adoptant juste après le scrutin une loi autorisant Nicolas Maduro à gouverner par décret.
itInvité de France 24, Luis Alejandro Avila, chercheur en géopolitique et spécialiste du continent latino-américain, rappelle que "le Venezuela est très polarisé politiquement entre les forces chavistes et les forces d’opposition. Les élections vont se jouer autour de ces deux forces […]. Ce qui est certain, c’est qu’un changement du rapport de force au sein de l’Assemblée va avoir lieu".
Selon le chercheur, l’opposition cherche à avoir "les 3/5 ou les 2/3 des sièges [de l’Assemblé, NDLR], ce qui leur donnerait la possibilité par exemple de nommer les magistrats au tribunal suprême de justice".
Un leader remis en cause par les siens ?
Grisée par sa victoire annoncée, l'opposition promet du changement. "Dimanche, nous allons écrire une nouvelle page dans l'histoire de notre pays", assure le député et candidat Miguel Pizarro. Toutefois la MUD, coalition hétéroclite d'une trentaine de partis de la gauche à la droite dure, ne repose que sur son rejet du chavisme. Tiraillée entre une aile modérée, incarnée par l'ex-candidat à la présidentielle Henrique Capriles, et un courant radical, dont le leader Leopoldo Lopez est emprisonné, son programme ne propose aucune solution concrète à la crise.
En raison d'un découpage électoral favorable au chavisme, la MUD pourrait ne remporter qu'une majorité simple, suffisante pour faire amnistier les 75 prisonniers politiques qu'elle recense dans le pays, mais pas pour organiser un référendum révocatoire contre le président.
Cependant, si les chavistes ne semblent pas prêts à lâcher les rênes du pouvoir, ils pourraient remettre en cause leur leader Nicolas Maduro , adoubé par Hugo Chavez. Voire même commencer à songer à le remplacer. "Si c'est une lourde défaite en voix, au-delà du nombre de députés, cela ouvrira de sérieuses interrogations sur la conduite du parti", prédit Andrés Cañizalez, professeur à l'université Andrés Bello à Caracas.
Les premiers résultats ne sont pas attendus avant 22 h (2h30 GMT, lundi).
Avec AFP