
Longtemps associé au nationalisme, le drapeau tricolore est devenu, depuis le 13-Novembre, le symbole d’une société libre et ouverte. Une célébration qui ne suffira toutefois pas à répondre au défi sociétal qui attend la France.
Lors du Conseil des ministres, mercredi 26 novembre, le président français, François Hollande, a invité ses compatriotes à mettre des drapeaux tricolores aux fenêtres de leur domicile lors de l'hommage solennel qui sera rendu vendredi aux Invalides aux victimes des attentats du 13 novembre. L'objectif étant, selon le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, de "permettre à chacun de participer d'une manière ou d'une autre à cet événement".
Depuis les attaques sanglantes de Paris et de Saint-Denis, nombre de Français se sont réapproprié leur drapeau, devenant le symbole d’une société libre et ouverte, loin de son interprétation traditionnelle, plus patriotique et sécuritaire. "Comme le slogan ‘Je suis Charlie’ après les attentats de janvier, qui défendait la liberté d'expression et de caricature, le bleu-blanc-rouge est devenu une icône", note à l’AFP Sandra Laugier, enseignante de philosophie à l'université Panthéon-Sorbonne.
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Sur les lieux des attentats, de nombreux étendards ont été déposés aux côtés des montagnes de fleurs et des messages d'hommage aux victimes. Les drapeaux, dont les ventes explosent, ont également fleuri sur les réseaux sociaux. Facebook a ainsi suggéré à ses abonnés de glisser un filtre tricolore sur leurs portraits.
Un symbole qui dépasse la France
De nombreux monuments dans le monde se sont également drapés d'éclairages tricolores en solidarité avec la France : à New York, le One World Trade Center, bâti sur le site des tours jumelles détruites le 11 septembre 2001 ; à Sydney, l'opéra ; à Rio, le Christ Rédempteur qui domine la ville ; à Berlin, la porte de Brandebourg…
A travers le monde, cette nuit. #13Novembre2015 #JeSuisParis pic.twitter.com/tNosu0hngv
— Yohann Nédélec (@nedelecyohann) 14 Novembre 2015Pour Sandra Laugier, le tricolore est devenu un symbole qui "dépasse la France, et montre qu'elle représente quelque chose de spécial dans le monde". Depuis le 13-Novembre, boire un verre au bistrot "est soudain devenu une valeur universelle" qui s'est "coagulée dans le drapeau avec ses autres signifiants : Jeanne d'Arc, la nation, l'autorité..." abonde le sociologue François de Singly, enseignant à Paris-Descartes, interrogé par l’AFP.
"Or le café est un symbole de socialisation qui ne dépend ni de la religion, ni de la famille, ni de l'État" souligne Sandra Laugier. Le drapeau brandi célèbre ainsi le "goût de la vie" par opposition au "goût de la mort" attribué aux jihadistes et au drapeau noir de l'organisation État islamique (EI), qui a revendiqué les attentats. Du coup, la bannière tricolore a pris "un coup de jeune, elle s'est déringardisée", ajoute François de Singly.
Risque de "dérive nationaliste" ?
Avant les attentats, à la différence d'autres pays, le drapeau était plutôt vécu par les Français comme "un peu embarrassant", admet-il. "Depuis les années 1980", il reste associé aux "nostalgiques du retour de l'autorité, au nationalisme, et à la montée de l'extrême droite", dit à l'AFP Carole Reynaud-Paligot, chercheuse associée à Paris-I.
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Mais "la célébration d'un mode de vie via le drapeau ne suffira pas" à répondre au défi sociétal posé par les attentats, commente cette historienne des XIXe et XXe siècles. "Le terrorisme n'est pas l'apanage de l'islamisme radical. Il a touché l'anarchisme et les extrêmes, droite et gauche. Et on oublie de rappeler la tradition d'accueil des étrangers par la République aux XIXe et XXe siècles" dit-elle, en s'inquiétant d'un risque de "dérive nationaliste", autour du "rejet de l'autre" et d'une "intolérance face à une religion".
Pour François de Singly, le drapeau a un "potentiel rassembleur" plus important que le slogan "Je suis Charlie", dans lequel une partie de la société française ne s'est pas reconnue. "Un ‘nous’ collectif a d'autant plus de chance de se développer dans la société qu'il existe un ‘eux’ menaçant" estime-t-il.