logo

Attentats de Paris : "Cazeneuve ne peut blâmer l’UE pour son manque de sécurité"

Une semaine après les attentats qui ont endeuillé Paris et dévoilé les failles de la sécurité européenne, Pascale Joannin, de la Fondation Robert Schuman, décrypte comment l’UE pourrait renforcer la coopération entre États.

Moins d’une semaine après les attentats qui ont ensanglanté la capitale, et à la veille d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur et de la Justice à Bruxelles, Bernard Cazeneuve a déclaré jeudi soir, qu’ "il [était] urgent que l'Europe se reprenne, s'organise et se défende contre la menace terroriste". "La coopération dans la lutte antiterroriste est cruciale", a-t-il martelé. Une façon de dénoncer les failles du système.

Les accusations de Bernard Cazeneuve envers l’Europe sont-elles fondées ? Et ses propositions sont-elles réalistes ? Décryptage avec Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman.

France 24 : Bernard Cazeneuve a appelé l’Union européenne à "se reprendre" face à la menace terroriste. Concrètement, que peut-elle faire ? A-t-elle les moyens de se doter d’une police européenne ?

Pascale Joannin : Le ministre de l’Intérieur se montre iconoclaste quand il demande à l’Union européenne de réagir, car aujourd’hui, cette dernière ne dispose que du pouvoir que les États-membres lui confèrent. Or en matière de sécurité, ils lui en ont donné très peu. Chaque État conserve sa souveraineté. L’agence Europol doit permettre de mutualiser les informations connues par les services européens mais, quand bien même ce système existe, il est mal utilisé.

Par ailleurs, il est trop tôt pour parler de police européenne. Pour que cela soit possible, il faudrait passer à un système fédéral. Néanmoins, l’Europe est déjà dotée d’un système de coopération entre les polices nationales européennes. La solution réside dans un accroissement de cette coopération.

Enfin, depuis les attentats de "Charlie" et de Copenhague, un centre anti-terrorisme a été créé. Il sera opérationnel à partir du 1er janvier 2016 et il essentiel que le partage des informations soit systématique.

Après la circulation entre la France et la Belgique d’Abdelhamid Abaaoud, le traité de Schengen est remis en question. Quelles sont ses faiblesses ?

Le cas Abaaoud a montré comment un individu peut profiter des failles du système européen. La Belgique et la France étaient informées des mesures à prendre à son encontre, mais pas l’Allemagne. Il en a donc profité pour circuler sans être interpellé [En janvier 2014, Abdelhamid Abaaoud avait pris un avion depuis Bonn en Allemagne pour Istanbul, en Turquie. La police fédérale allemande a indiqué n’avoir reçu aucune indication qu’elle devait l’arrêter ou lui interdire son voyage, NDLR].

Encore une fois, il est essentiel que la coordination entre les polices nationales soit accrue. Dans l’espace Schengen, l’absence de frontières intérieures suppose que les frontières extérieures soient mieux surveillées. Or, Abaaoud est sorti à deux reprises de l’Union européenne sans être repéré. Chaque pays doté de frontières extérieures doit renforcer ses procédures de contrôle, de la même façon que les fichiers d’informations douanières doivent être correctement mis à jour. Ils existent, mais doivent pouvoir être consultés.

François Hollande a demandé l’approbation du PNR (Passenger Name Record) avant la fin de l’année. Pourquoi n’est-il pas encore en service ? Quelle est son utilité ?

Le dossier du PNR (Passenger Name Record), qui permet de consulter des données collectées par les transporteurs aériens sur leurs passagers, est sur le bureau de l’Europe depuis 2011. Il est déjà utilisé par les États-Unis, le Canada et le Royaume-Unis. Son accès est réservé aux services de sécurité. En Europe, il n’a pas été adopté.

François Hollande, ainsi que Bernard Cazeneuve ont plaidé pour qu’il soit enfin voté, et rapidement. Or, ce sont essentiellement des députés socialistes et verts qui s’y opposent, au nom du respect de la vie privée. Bernard Cazeneuve a beau jeu de blâmer l’UE pour son manque de sécurité, mais il appartient aux États de prendre les décisions qui la feront changer.