
Un appel aux autorités a été lancé, mardi, pour prendre davantage au sérieux les crimes environnementaux, à l’issue de la première conférence sur le sujet. Les experts se désolent de l’indifférence face à une criminalité aux conséquences multiples.
"Un kilo de poudre de corne de rhinocéros rapporte 70 000 dollars, tandis qu’un kilo de cocaïne se négocie à 20 000 dollars aux États-Unis. Dans le premier cas, la peine encourue est d’un an de prison, alors que le trafiquant de cocaïne risque de passer 10 ans derrière les barreaux."
Cet exemple a permis à Laurent Neyret, professeur de droit, de souligner, mardi 10 novembre à l’occasion de la première conférence en France sur les crimes environnementaux, ce paradoxe : les crimes contre l’environnement rapportent gros, alors que le risque encouru par les malfaiteurs est faible.
Conséquence : ces exactions, qui englobent la pollution des mers, le trafic de déchets ou encore le braconnage et la déforestation sauvage, sont en constante progression. Il y a ainsi eu 1 215 rhinocéros abattus illégalement en Afrique du Sud l’an dernier, contre seulement 10 il y a sept ans, précise Stéphane Ringuet, responsable du programme de suivi du commerce des animaux sauvages pour l’ONG WWF. En France, le nombre d’infractions qui rentrent dans cette catégorie - de l’enfouissement illégal de déchets à la pollution des rivières - a progressé de plus de 20 % en cinq ans.
Environnement : machine à cash pour criminels
L’environnement est donc en train d’être transformé en machine à cash par les criminels du monde entier. D’où un appel solennel lancé par le Forum international des technologies de sécurité (Fits) et Interpol, organisateurs de la conférence à Nîmes, dans le sud de la France, pour intensifier la lutte contre le pillage des ressources naturelles. Un pillage qui rapporte au bas mot 70 milliards de dollars par an au crime organisé, d'après l'ONU et Interpol. Les universitaires, policiers et scientifiques demandent aux autorités de mieux indemniser les victimes, de renforcer les sanctions ou encore d’investir davantage dans la surveillance des zones sensibles.
"Ce n’est pas un hasard si nous lançons cet appel de Nîmes à trois semaines de la COP21", souligne André Viau, président du Fits. En l'occurrence, c’est un peu comme si le petit dernier de la famille environnementale essayait de se faire entendre à la table de la conférence parisienne sur le climat alors que tout le monde parle en même temps, tant la question est loin d'être une priorité de la COP21. Difficile, pourtant, de nier que la pollution volontaire des mers ou la déforestation sauvage n’ont pas d’impact sur le climat.
"Cette problématique est clairement sous-représentée à la conférence sur le climat", regrette Cees Van Duijn, coordinateur de la cellule de sécurité environnementale à Interpol. Une indifférence relative qui reflète le peu de moyens mis à disposition de la lutte internationale contre la criminalité environnementale. Il n’y ainsi que quatre navires pour surveiller les cinq millions de km² d’eaux territoriales au large de la Polynésie française. "Il n’est pas étonnant, dans ces conditions que l’on tombe sur des navires étrangers qui font de la pêche sauvage dans nos eaux", remarque Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster maritime français.
Au manque de moyens vient se greffer la difficulté de mener des enquêtes dans ce domaine. Tous les participants à la conférence ont souligné la complexité du droit de l’environnement au niveau national comme international. En outre, "ce ne sont pas des enquêtes au sens traditionnel du terme. Elles font appel à des technologies pour lesquelles les policiers ne sont pas toujours formés", souligne Ioana Botezatu, membre de la sous-division d’Interpol spécialisée dans les atteintes à l’environnement.
"Pire crime de tous" ?
Les autorités rechignent à en faire davantage car ce domaine souffre d’une réputation de crimes sans victime. Quelques arbres abattus à l’autre bout du monde ne feraient pas le poids face aux ravages du trafic de drogue. "Pourtant, en termes d’impact sur la société et l’humanité, la criminalité environnementale est probablement la plus grave", assure Iona Botezatu. Discours alarmiste de quelqu’un qui prêche pour sa paroisse ? Pas si sûr. Des enfants sont exploités dans des mines sauvages et l’implication croissante du crime organisé est souvent synonyme de corruption et d’actes de violence. Enfin, la dégradation criminelle de l’environnement a un impact à plus long terme dont le rechauffement climatique n'est qu'une facette.
L’avocate Françoise Labrousse, du cabinet Jones Day, sait que cette image d’une criminalité sans victime est on ne peut plus éloignée de la vérité. C’est elle qui a travaillé avec le gouvernement de la Côte d’Ivoire pour faire indemniser les victimes dans l’affaire du Probo Koala, en 2006. Ce vraquier avait déversé 581 tonnes de déchets toxiques dans le port d’Abidjan, provoquant la mort de 17 personnes et l’empoisonnement de dizaines de milliers d’habitants de la capitale ivoirienne. Près de dix ans plus tard, Trafigura, la société qui avait affreté le navire, "a bien été reconnue coupable aux Pays-Bas, mais les victimes n’ont toujours pas été convenablement indemnisées", a-t-elle souligné lors de la conférence.
Cet exemple, l’un des plus médiatiques de ces dernières années, est loin d’être le seul à démontrer l’urgence, pour les experts, de s’attaquer à cette éco-criminalité. Pour eux, son caractère mondialisé nécessite l’instauration d’une cour internationale. Ils soulignent aussi que cette criminalité se nourrit des inégalités Nord-Sud. Pour le juriste Laurent Neyret, dans les pays pauvres, "ces exactions sont parfois une question de survie économique" pour ceux qui acceptent de les commettre.