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André Glucksmann, une rage de philosophe

Le philosophe André Glucksmann, qui s'est éteint lundi à l'âge de 78 ans, a consacré sa vie à dénoncer "les misères du monde" et les totalitarismes. Parcours d'un intellectuel qui "vivait dans un monde d'idées et de combats".

Il était le philosophe français dont les indignations avaient nourri la pensée. André Glucksmann est mort lundi 9 novembre à l'âge de 78 ans, a annoncé mardi son fils Raphaël sur ses comptes Facebook et Twitter.

"Mon premier et meilleur ami n'est plus. J'ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial. Voilà, mon père est mort hier soir", écrit le réalisateur en hommage à son père.

Représentant, aux côtés notamment de Bernard-Henri Lévy, ce qu'on appellera "les nouveaux philosophes", André Glucksmann, né le 19 juin 1937 à Boulogne-Billancourt, avait consacré sa vie d’intellectuel à dénoncer les injustices. Même celles commises par ceux dont il avait choisi le combat. Longtemps proche des "maos" français, le philosophe avait dénoncé les horreurs de la Révolution culturelle chinoise en publiant en 1975 "La Cuisinière et le mangeur d'homme".

Plus tard, à la fin des années 1970, il réussit notamment à réunir l'intellectuel de gauche Jean-Paul Sartre et le libéral Raymond Aron pour faire cause commune en faveur de l'accueil des "boat people" quittant le Vietnam communiste.

Indigné par "les misères du monde"

Tout au long de sa vie, André Glucksmann s’était engagé contre toutes les formes de totalitarisme. En 1999, il a soutenu l'intervention contre la Serbie au moment de la guerre du Kosovo ou dénoncé la politique de Vladimir Poutine lors de la Seconde guerre en Tchétchénie. Plus récemment, cet auteur prolixe s’était engagé pour la liberté en Ukraine ou alarmé du sort réservé aux Roms dans la société française.

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Dans son autobiographie "Une Rage d'enfant" (Plon, 2006), il racontait avoir toujours été indigné par "les misères du monde". "Il vivait dans un monde d'idées et de combats et a consacré sa vie aux autres", a déclaré mardi sur France Inter son fils Raphaël Glucksmann. 

"Quand il était petit, il aurait dû mourir, puisqu'il était juif, d'une famille ne parlant pas français dans la France occupée, a-t-il raconté. Il a même été mis dans les trains et sa mère a réussi à l'en sortir. Donc, il m'a dit que tout le reste, c'était du rab et que 70 ans de rab, c'était une chance incroyable et qu'il fallait la saisir pour en faire profiter d'autres qui avaient moins de chance que lui".

"Quand j'étais petit, à la maison, il y avait des réfugiés à la fois des dictatures fascistes d'Amérique Latine et des dictatures soviétiques et communistes d'Europe de l'Est, des Afghans, des Algériens... Ils se retrouvaient chez nous sans se connaître, ils dormaient chez nous, souvent je devais laisser ma chambre", s'est souvenu Raphaël Glucksmann avec nostalgie.

André Glucksmann raconte son enfance

"Il voulait vivre dans le pays de la Révolution"

"C'était le monde qui débarquait à la maison et qui parlait de liberté et de droits de l'Homme, une France qui était belle, dans sa vocation de terre d'accueil. Une France qu'il avait choisie quand il avait 10 ans : son père était mort, tué par les Allemands, sa mère lui a proposé de repartir en Autriche d'où ils venaient, mais il a dit qu'il voulait vivre dans le pays de la Révolution. Depuis, il a vécu la France comme ça".

>> À revoir sur France 24 : l'interview d'André Glucksmann sur les printemps arabes en novembre 2011

L’annonce de sa mort a suscité de nombreuses réactions en France. Dans un communiqué, le chef de l’État, François Hollande, a salué la mémoire de "l’une des grandes figures du combat antitotalitaire" qui "portait en lui tous les drames du XXe siècle". "Pénétré par le tragique de l’histoire autant que par son devoir d’intellectuel, il ne se résignait pas à la fatalité des guerres et des massacres. Il était toujours en éveil et à l’écoute des souffrances des peuples", écrit l’Élysée.

"C'est un vrai esprit critique en même temps qu'une conscience qui disparaît" a souligné sur la radio Europe 1 le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron."Il a fait partie de ces philosophes courageux qui se sont engagés dans la vie de la cité, dans ce combat, et qui ont éclairé très tôt." Sur Twitter, l’intellectuelle Caroline Fourest a rendu hommage "à la figure même de l’engagement, qu’il a porté avec talent toute sa vie."

André Glucksmann nous a quitté. Il était la figure même de l'engagement, qu'il a porté avec talent toute sa vie. pic.twitter.com/yxRkN4vFos

— Caroline Fourest (@CarolineFourest) 10 Novembre 2015

Se revendiquant toujours de gauche, André Glucksmann n'avait pas hésité à soutenir Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2007, avant de prendre ses distances avec celui dont il finit par peu apprécier la bienveillance envers Vladimir Poutine.

L'ancien président a rendu cependant hommage au "courage" et à la "lucidité intellectuelle" du philosophe dont la "pensée jamais prisonnière du diktat idéologique survivra".

Avec AFP