![Birmanie : premières élections libres depuis 25 ans, Aung San Suu Kyi considérée comme favorite Birmanie : premières élections libres depuis 25 ans, Aung San Suu Kyi considérée comme favorite](/data/posts/2022/07/20/1658336023_Birmanie-premieres-elections-libres-depuis-25-ans-Aung-San-Suu-Kyi-consideree-comme-favorite.jpg)
Les Birmans sont appelés à participer dimanche au premier scrutin libre du pays depuis vingt-cinq ans. Les menaces sécuritaires et les discours des moines extrémistes inquiètent les musulmans rohingyas, tandis que Aung San Suu Kyi reste silencieuse.
Les électeurs birmans sont appelées aux urnes dimanche 8 novembre pour des élections législatives historiques, puisqu’il s’agit du premier scrutin libre en Birmanie depuis vingt-cinq ans. Parmi ces 30 millions de votants, la plupart sont néophytes, les dernières élections libres remontant à 1990.
Sans surprise, la campagne a suscité beaucoup d’enthousiasme, chez les plus jeunes notamment. Dominée par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) du prix Nobel de la Paix, Aung San Suu Kyi et le Parti pour la solidarité et le développement (USDP) au pouvoir composé d’anciens généraux, elle s'est achevée vendredi soir. Les partisans des deux parties ont commencé à retirer stickers et drapeaux.
>> À voir sur France 24 : "Vidéo : en Birmanie, des élections législatives historiques mais opaques"
Message d’intimidation du pouvoir
À l’approche du vote, l’actuel président birman Thein Sein, ex-général et dernier Premier ministre de la junte autodissoute en 2011, ne s’est pas privé de mettre les Birmans en garde contre la tentation d'imiter les révolutions populaires du "printemps arabe". Dans un clip de propagande étrange, la présidence a même diffusé un message d’intimidation disant ne pas vouloir en venir aux "rivières de sang" ayant accompagné certaines "transformations en démocraties".
Signe de l'inquiétude des autorités sans doute : les principaux meneurs de la fédération birmane des syndicats étudiants encore en liberté ont été interpellés cette semaine, alors que des dizaines d'étudiants ayant manifesté contre une réforme controversée de l'éducation sont déjà derrière les barreaux depuis mars.
Autre élément de crispation palpable à deux jours du scrutin : le journal officiel "Global New Light of Myanmar" a annoncé vendredi la mise en "alerte orange" de milliers de policiers dans la région de Rangoun, la capitale économique.
Les Rohingyas écartés du vote
Hors des partis politiques birmans, de nouveaux venus dans la campagne ont contribué à jeter de l’huile sur le feu dans ce pays qui se remet encore de l’oppression exercée par la junte militaire pendant des décennies. Des moines radicaux du mouvement MaBatha, qui ne sont pourtant pas censés prendre part à la politique et n'ont pas le droit de vote, ont néanmoins manifesté leur soutien pour le parti au pouvoir, composé d'anciens généraux de la junte. Leur figure de proue, le moine Wirathu, répand dans ce pays ultra majoritairement bouddhiste un discours très antimusulman, alors même que la Birmanie compte moins de 5 % de musulmans.
Le moine Wirathu, qui utilise notamment les réseaux sociaux, suivi par quelque 110 000 personnes sur Facebook. Plus influent que jamais, il se félicite des "victoires" que constituent la récente loi restreignant les mariages interreligieux et la privation du droit de vote frappant des centaines de milliers de musulmans de la minorité rohingya. Des lois pour lesquelles il a œuvré avec son mouvement.
Dans ce contexte, l'inquiétude est forte parmi de la communauté musulmane en Birmanie, notamment chez les habitants de Mingalar Taung Nyunt, quartier du centre de Rangoun. Ils évoquent déjà avec anxiété l'après-élection. "Il y a des gens qui sont prêts à nous menacer ou à nous attaquer", a confié Myo [son prénom a été modifié], une habitante du quartier à l’AFP. La jeune femme dit se préparer au pire : "Si des gens viennent se battre, notre communauté va se rassembler". Le pays a déjà connu plusieurs vagues de violences, notamment en 2012 quand une série d'attaques entre bouddhistes et musulmans a fait plus de 200 morts dans l'ouest, principalement des Rohingyas.
Les limites de Aung San Suu Kyi
"Si Aung San Suu Kyi avait le pouvoir, elle réglerait nos problèmes", a estimé de son côté Ye Min Oo, 29 ans, vendeur de rue du quartier musulman. "Pour de nombreux électeurs de Birmanie, elle [Aung San Suu Kyi] est la figure de la lutte contre l'autoritarisme dans leur pays. Ils imaginent que le destin démocratique interrompu dans les années 1990 est maintenant à portée de main", explique le politologue Nicholas Farrelly.
Pourtant, l’opposante est restée pragmatique et a soigneusement évité de s'avancer sur le sort des Rohingyas. Les défenseurs des droits de l'Homme lui reprochent de ne pas avoir fermement attaqué les discours de Wirathu ou pas pris la parole pour défendre cette minorité persécutée en Birmanie. Son parti n'a pas présenté un seul candidat musulman. D'après les observateurs, il s'agit d'un silence stratégique pour éviter de froisser ses bastions bouddhistes.
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Au sein du parti de la prix Nobel, certains lui reprochent aussi son autoritarisme. Rien d’étonnant pour Olivier Guillard, directeur de recherche Asie à l’Iris qui s’est exprimé sur France 24 : "De l’extérieur elle renvoie l’image d’une icône démocratique, mais la Dame [son surnom en Birmanie] est plus démocratique à l’extérieure, au niveau national, qu’à l’intérieur de son parti. Il n’y a pas de tête qui dépasse (…). Il se dit que des débats sont organisés, mais que la Dame a plutôt tendance à s’écouter elle ou son entourage proche". Avec cette stratégie, Aung San Suu Kyi a fini par faire le vide autour d’elle au lieu de profiter du contexte nouveau et de laisser un peu de place aux jeunes, déplore le chercheur.
Avec ses meetings électriques, l'opposante Aung San Suu Kyi a le mérite d'avoir réussi à provoquer une poussée de fièvre électorale, même si derrière les chansons prédisant sa victoire et l'enthousiasme suscité, la tension est restée palpable ces dernières semaines.
Avec AFP