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France : l'association Singa forme réfugiés et familles d’accueil à leurs différences culturelles

La plateforme Calm, qui mettra en relation particuliers et réfugiés, sera opérationnelle à partir de janvier. En attendant, l’association Singa organise des formations pour les réfugiés et les familles. Une école de la tolérance interculturelle.

Au quatrième étage du bâtiment parisien qui accueille l’association Singa, au-dessus de la gare Saint-Lazare, règne un joyeux brouhaha. La jeune équipe a dû augmenter ses effectifs depuis l’annonce début septembre du lancement de la plateforme Calm (Comme à la maison), qui permettra à partir de janvier de mettre en relation des réfugiés à la recherche d’un logement et des familles qui souhaitent les accueillir.

Dans la pièce du fond, les tables ont été poussées contre les murs ce vendredi, les rideaux fermés et un rétroprojecteur installé sur une petite table. Face à une vingtaine de personnes, Foday, salarié de Singa, peine à dissimuler son stress.

Les clefs d'une cohabitation heureuse

La formation qu’il donne ce jour-là en français et en anglais est la première du genre. Destinée aux personnes qui ont obtenu le statut de réfugiés en France, elle doit leur donner les clés d’une cohabitation heureuse avec une famille française.

"Les repas par exemple. Je sais que ce n’est pas forcément le cas dans votre culture mais les Français parlent beaucoup pendant les repas, c’est le moment à privilégier pour parler avec la famille", annonce le jeune homme tout sourire.

S’il est au courant des barrières culturelles que devront dépasser les réfugiés, c’est que lui-même en a fait l’expérience. Parti de la Sierra-Leone il y a quatre ans pour des raisons politiques, il raconte aujourd’hui avec humour qu’il a, par exemple, dû apprendre à parler aux gens en les regardant dans les yeux.

"Dans beaucoup de cultures, il est très malpoli de regarder quelqu’un de plus âgé dans les yeux mais ici il faut le faire sinon on va penser que vous mentez", explique-t-il à la petite assemblée.

Partage des tâches ménagères, propreté, animaux domestiques, ponctualité ou encore politesse, les mœurs françaises sont passées en revue. "Soyez à l’heure", "pensez à dire ‘merci ‘ dès que l’on vous donne quelque chose", "respectez les animaux domestiques, ils font partie de la famille", insiste Foday. Dans le fond de la salle, des bénévoles français s’amusent de se reconnaître dans cette description : "C’est vrai qu’on dit tout le temps ‘merci’ en fait !".

"Un enrichissement et quelques malentendus"

Une semaine plus tard, dans une salle de conférence aux murs boisés de l’hôtel Ibis de la porte de Clichy, Foday et la jeune équipe de Singa attendent 250 personnes. Tous des Français qui désirent accueillir des réfugiés chez eux. La plupart sont des couples. Beaucoup ont de la place chez eux depuis que leurs enfants ont quitté la maison familiale.

Ils ne sont finalement que 150 à se présenter. Alice Barbe, la co-directrice de Singa, n’est pas mécontente. "J’étais un peu stressée", avoue-t-elle à l’assemblée. La jeune femme à la chevelure bouclée et en robe beige tente de mettre tout le monde à l’aise avant de commencer la formation. "Si quelqu’un a apporté une bouteille de champagne et des macarons, vous pouvez aussi venir les poser sur la table", lance-t-elle en croquant dans une part de cake au thon.

Dans la salle, personne ou presque n’accueille encore de réfugiés. Le but de la formation est donc d’expliquer le fonctionnement de l’association mais surtout de rassurer les familles sur l’expérience qu’elles vont vivre.

"Il faut que vous sachiez ce que vous attendez de cette rencontre. Nous, on vous promet un enrichissement et quelques malentendus." L’équipe passe rapidement sur les conseils donnés une semaine plus tôt aux réfugiés pour aborder la question de ce qui pourrait être qualifié de "droit à l’oubli".

"Oubliez le passé et parlez du futur"

"Quand vous allez accueillir la personne chez vous, oubliez le passé et parlez du futur", conseille Carlos, l’actuel président de Singa, qui a dû quitter sa Colombie natale pour des raisons politiques. À son arrivée en France, cet étudiant en droit et salarié dans un cabinet de juriste a souffert des questions indiscrètes de ses hôtes. Aujourd’hui, il appelle les familles à "prendre le temps" : "Quand le réfugié vous fera confiance, il vous racontera son histoire de lui-même et ce sera un très beau cadeau qu’il vous fera."

Chemise bleu ciel et pantalon grenat, Carlos a l’allure sage des jeunes avocats. Loin de l'image du trafiquant de drogue colombien. Il met en garde les familles contre les clichés à éviter avec les personnes qu’elles accueilleront. "Par exemple, moi, comme je viens de Colombie, on a tendance à penser que je suis fan du narcotrafic, alors que ça ne m’intéresse pas du tout", raconte-t-il aujourd’hui en riant.

Lorsque vient le moment des questions, un élu d’Antony, dans les Hauts-de-Seine, s’inquiète de savoir si les réfugiés de sa ville auront droit aux mêmes aides sociales s’ils vivent au sein d’une famille ou dans une structure d’accueil de l’État.

"Et si je veux leur payer une carte Navigo, est-ce que je peux ?", demande une femme habillée tout en rouge. Un homme aux cheveux gris et veste en daim camel, lui, se montre dubitatif quant aux promesses de l’association qui entend, grâce à son réseau, organiser des activités régulières et permettre aux réfugiés de trouver du travail, voire de créer leur propre entreprise. "Le réfugié, son premier objectif, j’imagine que c’est de trouver un emploi, pas d’apprendre la salsa. Alors comment ça se passe ?"

Au fond de la salle, une jeune femme à queue de cheval et pull à capuche noir s’inquiète de la manière dont sont organisés les "matchings", soit la formation des duos réfugié-famille. "Dans l’idée, Singa c’est comme héberger un copain. Vous êtes là aussi peut-être pour devenir ami", tente de rassurer Alice. Juliette Arzur, responsable du "matching" à Singa, explique que, dans les faits, c’est d’abord la localisation qui permet de mettre deux personnes en contact, puis des arguments plus subjectifs comme les passions ou les intérêts professionnels.

"Je n’ai pas envie d’être comme les gens en 1940 qui regardaient passer les trains"

Ce n’est pas la différence culturelle qui fait peur à Lucette, 71 ans, mais plutôt "la différence de niveau social". Avec son mari René, 66 ans, ils ont "tout un étage de libre" dans leur maison de Vitry-sur-Seine (94) depuis que leurs enfants n’y habitent plus.

Les deux retraités sont certains de leur choix et pourtant ils ne peuvent pas empêcher une certaine angoisse de les gagner : "C’est sûr que ça va être une aventure, ça va troubler notre tranquillité mais bon, il y a un moment où il faut partager".

Lucette voudrait accueillir une famille parce qu’elle "ne supporte pas de voir des enfants dormir dehors". René, lui, pense à l’avenir : "On ne peut pas rester passifs. Je n’ai pas envie d’être comme les gens en 1940 qui regardaient passer les trains et disaient qu’ils ne savaient pas ce qu’il se passait".

Jean-Marc et Catherine, eux, veulent agir en accueillant un réfugié car ils n’ont "pas les moyens de faire des dons". Eux aussi appréhendent un petit peu la cohabitation. "On a juste une chambre donc la contrainte c’est surtout la place. Il faudra partager la cuisine et la salle de bain", explique Jean-Marc, architecte de 58 ans. Catherine, silencieuse, approuve en hochant la tête.

Et si jamais, l’expérience ne fonctionnait pas ? "Je pourrais leur apprendre la langue des signes", suggère-t-elle réalisant ce qu’elle pourrait apporter au réseau Singa. Médecin généraliste, elle a suivi une formation il y a quelques années pour être capable de soigner les personnes sourdes et muettes.