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La "Task Force Lafayette" : ces ex-soldats français face aux jihadistes de l’EI

Sans mandat des autorités françaises, une quinzaine d’ex-soldats de l’Hexagone ont décidé d’aller combattre l’EI aux côtés des peshmerga, au Kurdistan irakien. Mercenaires ou idéalistes armés, qui sont les membres de la "Task Force Lafayette" ?

Quatre-vingts ans plus tôt, ils auraient peut-être fait partie des Brigades internationales, ce corps armé de milliers de volontaires européens venus aider les Républicains à lutter contre l’Espagne franquiste. Aujourd’hui, ils font partie de la "Task Force Lafayette", un groupe d’anciens militaires français venus apporter leur aide logistique et militaire aux peshmerga (combattants kurdes irakiens) dans leur lutte contre l’organisation de l’État islamique (EI).

Sans mandat de leur pays, cette "force" d’une quinzaine d’hommes – tous d’anciens soldats des armées de terre, de mer, de l’air – ont prévu de s’envoler pour le Kurdistan irakien à la fin de l’année 2015. Pour quatre mois minimum, un an idéalement. Deux d’entre eux sont déjà sur place et le gros du contingent devrait arriver au mois de décembre. Gekko* est à l’origine de la "Force Lafayette". Pour cet ancien soldat de 25 ans, ex-membre de l'armée de terre spécialisé dans le renseignement, s’engager sur le terrain était une évidence. "Je ne pouvais pas rester les bras croisés. Il fallait que je fasse quelque chose", explique-t-il calmement.

L’idée de partir est venue au mois de mai 2015 quand la barbarie de l’EI, "les vidéos d’exécution, les images d’hommes, de femmes, d’enfants, tués, violés, crucifiés..." lui sont devenus insupportables. "Je voulais rejoindre un groupe anti-EI en qui je pouvais avoir confiance et qui partageait mes valeurs de démocratie", explique Gekko. Mais trouver un groupe de confiance avec lequel collaborer en Syrie s’est avéré trop compliqué : "Il y a une multitude de mouvements, d’alliances, de contre-alliances… En rejoignant les différentes factions de l’armée syrienne libre (ASL), par exemple, nous aurions été taxé d’anti-Bachar [al-Assad]. Cela aurait été perçu comme une ingérence." Quelles que soient ses opinions envers ce régime, Gekko assure qu’il ne veut mettre en avant ni engagement politique, ni confession religieuse. La "Task Force Lafayette" se revendique avant tout "neutre". Alors, elle a décidé de rejoindre les peshmerga au Kurdistan irakien : "C’était le choix le moins risqué".

Nourris, logés, armés par les Kurdes

Au début, Gekko a voulu partir seul. "J’ai parlé de mon projet à un copain, un ancien soldat lui aussi. Il a été séduit par l’idée et a voulu m’accompagner", explique-t-il. D’autres les rejoignent. La mission se fait connaître par le bouche à oreille. Au total, une quinzaine de candidats se rallient au projet, tous des amis d’amis, âgés de 25 ans à 55 ans, et tous ayant un passé militaire en Afghanistan, au Mali, en Centrafrique, en Somalie. "On ne pouvait pas être plus… D’une part, parce que je ne pouvais pas en gérer davantage, d’autre part, parce que la majorité des membres de la 'Task force Lafayette' sont d’anciens commandos des forces spéciales, ils ont l’habitude de travailler en petit groupe".

À moins de trois mois du départ, la Task Force a déjà réglé la plupart des détails de sa mission. Ses membres seront nourris et hébergés par des Kurdes dans les alentours de Kirkouk, "mais nous ne pouvons pas dire où", précise Gekko. Le groupe détient un capital de plus de 35 000 euros, obtenu via des dons de particuliers, des ventes de produits dérivés, des aides d’entreprises privées dont les noms n’ont pas été révélés. Cet argent sera destiné à "acheter du matériel, des médicaments, des outils de soins et des kits humanitaires", indique un communiqué publié sur le site de participation en ligne. Le matériel militaire et les armes seront "fournis" sur place...

Car au-delà de ses intentions louables pour la protection des populations civiles, la "Task Force Lafayette" a prévu de participer aux combats aux côtés des peshmerga. Elle s'apprête à acheter deux paires de jumelles à vision nocturne (JVN) grâce à un don de 1 200 euros, indique-t-elle sur Facebook, et à commander du matériel militaire, dont des gilets pare-balles, à un "fournisseur de l’armée française". "Nous allons soutenir les forces kurdes. Nous les conseillerons sur le terrain", nuance Gekko. "Nous ne serons jamais les premiers à ouvrir le feu sur l'ennemi à moins d’être en état de légitime défense."

Reste qu’en mettant son expérience et sa connaissance au service de la lutte antiterroriste, cette unité militaire se substitue à l’État. Et même si Gekko répète que sa Task Force n’a pas "vocation à remplacer l’armée", elle s’octroie une prérogative régalienne. Gekko et sa mini armée seraient-ils alors des mercenaires ? Non, répond-t-il. "Nous ne touchons pas de salaires, nous n’agissons pas par appât du gain, nous sommes des volontaires, pas des mercenaires !". En France, la loi du 14 avril 2003 interdit le mercenariat, mais pas le volontariat. En pratique donc, tous les citoyens Français sont libres de partir en Syrie ou en Irak malgré les mises en garde du Quai d’Orsay.

"Nous ne sommes pas des chrétiens en partance pour une croisade"

Alors, comment l’État perçoit-il ces nouveaux combattants hors de toute législation ? Difficile à dire. Le ministère de la Défense n’a pas souhaité répondre aux questions de France 24. Gekko assure pourtant avoir joué la carte de la transparence et préparé ce départ sans en cacher les desseins à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et à la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). "Les renseignements savent que nous partons et ils nous débrieferons quand nous rentrerons, c’est la procédure", explique le créateur de la "Task Force Lafayette". La DGSE n’a pas non plus souhaité répondre à nos questions, indiquant qu’elle "ne communiquait jamais sur ses activités réelles ou supposées".

Les membres de la "Task Force Lafayette" ne sont pas les seuls à avoir rejoint l’Irak ou la Syrie pour lutter contre les jihadistes. En France, un autre groupe d’anti-EI, les "Dwekh Nashwa" - "Les futurs martyrs" en araméen - ont également une poignée de combattants sur place. Ils prônent la création d’une "armée chrétienne" pour combattre la "barbarie islamique". Gekko se défend de tout rapprochement avec cette faction. "Nous ne sommes pas des chrétiens en partance pour une croisade mais des humanistes décidés à combattre Daech [autre nom de l'EI]. Il y a une différence."

À l’échelle européenne, des motards néerlandais ont eux aussi rejoint les rangs des kurdes pour lutter contre les jihadistes. Même les États-Unis ont été confrontés au phénomène. Certains citoyens comme le surfeur Dean Parker ou des membres du groupe américain les "Lions du Rojava", sont partis rejoindre les combattants des Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du parti de l’Union démocratique kurde (PYD).

*Le prénom a été changé