L'Iran, allié traditionnel de Damas, s'efforce depuis le début de la guerre d'apporter son soutien à Bachar al-Assad. Cet engagement vient de franchir un cap avec l'offensive militaire russe. Entretien avec le chercheur David Rigoulet-Roze.
Alors que Moscou multiplie les déclarations sur son intervention en Syrie, l’autre grand allié de Bachar al-Assad se fait beaucoup plus discret. L’Iran joue pourtant un rôle prépondérant dans la guerre syrienne et, comme l’explique à France 24 le spécialiste du Moyen-Orient David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue "Orients Stratégiques", son engagement a même franchi un cap depuis quelques semaines.
France 24 : On parle beaucoup de l’implication de la Russie en Syrie. Mais quel rôle joue l’Iran ?
David Rigoulet-Roze : L’Iran joue un rôle important depuis longtemps. C’est bien sûr l’un des soutiens massifs du régime syrien, avant même l’intervention directe de la Russie. Ce soutien a commencé par une logique de conseil politique puis s’est manifesté par l’envoi de conseillers militaires. Aujourd’hui, l’état-major syrien est largement iranisé, à tel point qu’il y a parfois des tensions et des voix qui s’élèvent pour protester contre la mainmise de l’Iran sur l’armée syrienne. À cela s’ajoutent des lignes de crédit qui permettent de faire vivre le régime. La plus récente, d’un montant de 1 milliard de dollars, a été votée par le Majlis d’Iran – le Parlement iranien – début juillet. Enfin, l’Iran envoie des renforts au sol pour aider l’armée syrienne. C’est un engagement très concret.
Qui sont ces soldats ? Des membres de l’armée iranienne ?
Ce sont essentiellement des milices chiites structurées et supervisées par le général Qassem Soleimani, chef des forces spéciales Al Qods. Ces milices sont composée d’Irakiens et même d’Afghans et de Pakistanais. Elles assistent le Hezbollah, présent en Syrie depuis longtemps et qui paye le prix du sang avec plusieurs centaines de morts et de blessés depuis le début de son engagement. On assiste par ailleurs, depuis le début de l’année, à une montée en puissance de la présence militaire iranienne en Syrie, puisque quatre commandants d’Al Qods ont été tués en 2015. Cela signifie que les Iraniens s’exposent directement sur le terrain. Et cette montée en puissance vient de monter d’un cran depuis septembre avec l’offensive russe. Il y aurait aujourd’hui plusieurs centaines d’Iraniens sur place - voire davantage selon certaines sources - relevant principalement d’Al Qods en Syrie.
Comment s’est opérée cette montée en puissance ?
La Syrie et l’Iran avaient un pacte de coopération qui s’est transformé en pacte de défense non officiel en 2007. La Syrie aurait demandé l’activation de ce pacte. L’engagement de la Russie a également été coordonné avec l’Iran. Le général Soleimani s’est a priori rendu au moins une fois à Moscou, en juillet, dans le but de planifier l’offensive de la rentrée. Cette planification est visible sur le terrain puisqu’on observe une répartition des rôles : les Russes s’occupent plutôt du nord autour de la frontière turque et d’Alep, le Hezbollah est présent à proximité de la frontière libanaise et les Iraniens sont autour de Damas. Quand on regarde le positionnement de l’ensemble, cela donne un verrouillage du pays alaouite, d’où est originaire Bachar al-Assad.
Moscou et Téhéran poursuivent-ils les mêmes objectifs ?
Il y a un objectif commun qui est très clair : la survie du régime syrien. Cela dit, il y a des intérêts particuliers qui ne sont pas forcément les mêmes. Vladimir Poutine est dans une logique d’apparaître à nouveau comme une grande puissance internationale. Il souhaite attaquer l’organisation de l’État islamique (EI) mais pas seulement, tandis que les Iraniens font de la destruction de l’EI une priorité et un enjeu de sécurité nationale. L’Iran aspire également à redevenir une puissance régionale face à son grand rival, l’Arabie saoudite. Il y a en ce sens une instrumentalisation de l’opposition entre chiites et sunnites avec un axe Téhéran-Bagdad-Damas qui se dessine clairement. Ce n’est pas le déterminant principal du conflit, mais c’est une grille de lecture possible.
Et vis-à-vis des Occidentaux ? On entend beaucoup moins les Iraniens que les Russes…
Déjà parce que l’Iran a toujours opéré de façon discrète, comme il le fait notamment au Yémen. Mais aussi parce que depuis l’accord du 14 juillet sur le nucléaire iranien, Téhéran est redevenu, de fait, un partenaire incontournable dans la région. C’est une évidence, rien ne se fera en Syrie sans l’Iran. Les Occidentaux sont obligés de tenir compte de cette réalité.