
Les ministres des Finances de l’Union européenne se sont accordés mardi sur un mécanisme d’échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre les États membres et des multinationales. Explications.
De l’avis du commissaire européen aux Affaires financières, Pierre Moscovici, "c’est une véritable performance". Moins d’un an après la révélation du scandale LuxLeaks, les ministres des Finances de l’Union européenne se sont mis d’accord à l’unanimité, mardi 6 octobre, pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales au sein de l’espace européen.
En novembre 2014, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 40 médias partenaires, dont "Le Monde" et "The Guardian", révélaient que près de 340 multinationales avaient passé des accords fiscaux secrets – mais légaux – avec le Luxembourg pour payer moins d'impôts – ou s’y soustraire – dans d’autres pays. Un milliard d’euros de recettes fiscales avaient été perdus par les États où ces entreprises réalisent des bénéfices, selon l’ICIJ.
Un "progrès notable" sur le papier
Le dispositif décidé mardi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017. Il prévoit que les administrations fiscales des États membres soient tenues de se communiquer mutuellement les accords fiscaux (rescrits fiscaux en français, tax rulings en anglais) établis avec les grands groupes qui cherchent à minimiser leurs impôts dans d’autres pays. Concrètement, lorsqu'une multinationale obtiendra un rescrit fiscal au Luxembourg, le Grand Duché se verra dans l'obligation d'en informer l'administration fiscale française.
Contacté par France 24, Jacques Fabre, administrateur de Transparency International France qualifie ce dispositif de "progrès notable" pour deux raisons : il peut d’une part limiter l’évasion fiscale des multinationales ; et d’autre part, il pourrait permettre de corriger la "distorsion de concurrence" entre entreprises nationales soumises aux impôts de leur pays de résidence, et les multinationales qui se soustraient aux taxes des pays où elles sont déployées et font des bénéfices.
Le dispositif doit avoir un effet rétroactif sur cinq ans (donc jusqu’au 1er janvier 2012), c’est un peu en-deçà des dix ans proposés en mars par la Commission européenne, mais l’autocongratulation était de mise à l’issue de la réunion à Luxembourg, mardi. "Nous avons un accord politique (…). Nous donnons un signal fort", a déclaré le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna.
C’est son pays qui était particulièrement mis en cause par le scandale LuxLeaks, quand l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, occupait les fonctions de Premier ministre et ministre des Finances. Le ministre français des Finances, Michel Sapin, a pour sa part estimé que "l’Union européenne est exemplaire dans la lutte contre l’optimisation fiscale". "C’est l’une des décisions les plus importantes de ces derniers mois", a-t-il insisté.
"Le système du secret va continuer"
Si cette directive a d’ores et déjà valeur de symbole après l’onde de choc du scandale LuxLeaks, sa portée doit être relativisée. "Pour être honnête, c'est une évolution extrêmement limitée", résume Tove Ryding de l'ONG internationale Eurodad, citée par l’AFP. "En réalité, le système du secret va continuer. Les administrations fiscales en Europe vont avoir une meilleure idée des accords passés dans d'autres pays en Europe, mais elles ne peuvent pas vraiment les combattre.", a-t-elle plaidé.
Jacques Fabre note aussi la similitude et la concomitance avec le plan annoncé lundi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Incluant 62 pays – dont les grandes puissances européennes –, il vise à lutter contre l’évasion fiscale des multinationales telles que Apple, Google ou Amazon. Il sera officiellement adopté par les ministres des finances du G20 [forum économique qui rassemble les 8 pays les plus industrialisés du G8 (dont la France), 10 pays émergeants, ainsi que l'Australie et l'UE], à Lima (Pérou), le 9 octobre.
Dernière inquiétude de l'administrateur de Transparency International France : que l’échange d’informations au niveau européen ne concerne que les administrations fiscales. "Ce serait encore mieux si elles pouvaient être accessibles à des organisations non-gouvernementales sélectionnées ou des journalistes", plaide-t-il. Un souhait émis alors que le journaliste français qui a révélé LuxLeaks, Edouard Perrin, est toujours poursuivi par la justice luxembourgeoise.