logo

Un article sur une drogue provoque la censure de Wikipédia en Russie

La version russe de l'encyclopédie en ligne Wikipédia s’est retrouvée bloquée quelques heures en Russie, les 24 et 25 août. En cause, une page sur le charas, un dérivé du cannabis. Une affaire qui relance le débat sur le contrôle du Net dans le pays.

La censure de la version russe du site Wikipédia, qui n’aura duré que quelques heures entre le 24 et 25 août, a suscité une vague d’inquiétude en Russie quant à la liberté d’expression sur le Net. La décision inédite, prise par les autorités russes, d’interdire l’accès à la célèbre encyclopédie en ligne était survenue après un bras de fer entre le pouvoir et Wikipédia.

Tout a commencé à Chyorny Yardans, petite ville de 8 000 habitants sur les rives de la Volga. L'attention du procureur de cette municipalité, située dans le sud de la Russie, s'était fixée sur une page précise de Wikipedia traitant de charas, un dérivé de cannabis produit en Inde, au Liban ou encore au Pakistan. En juin dernier, ce représentant de la loi avait exigé que Wikipedia fasse disparaître cette entrée de sa version russe au prétexte qu’elle donnait des informations sur le procédé de fabrication de ce stupéfiant.

Pouvoir du gendarme russe

Nul ne sait pour quelle raison ce magistrat a identifié précisément cette page, Chyorny Yar n’ayant pas de problème de drogue connu, note le site internet du Washington Post. Une plainte d’autant plus étrange, souligne de son côté la fondation Wikimédia, que cet article n'enregistre pas plus de quelques dizaines de visites d’internautes chaque jour.

La bataille du petit magistrat contre le mastodonte du Web, avec ses 450 millions de visiteurs mensuels, a néanmoins viré à la polémique nationale lorsque l’autorité russe de régulation du Net, Roskomnadzor, a repris la revendication du procureur à son compte. Les représentants russes de Wikipédia ont refusé de se plier à l’injonction des autorités arguant que le texte sur le charas était d’ordre académique et n’avait rien d’un mode d’emploi pour produire de la drogue.

Mais le refus du site ne pèse pas lourd face aux pouvoirs octroyés à Roskomnadzor. Depuis 2012, cette autorité peut ordonner, dans certains cas précis (drogue, pornographie, et tout contenu extrémiste), le blocage d’un site ou d’une page sans passer par la case judiciaire.

Seul problème : le site Wikipédia utilise un protocole de sécurité (le https) qui rend plus difficile de censurer une page. “La plupart des fournisseurs d’accès Internet (FAI) russes n’ont pas les moyens techniques de le faire”, assure le site du Financial Times.

Moscou contre le https

D’où l’ordre, émis lundi par les autorités, de rendre l’intégralité de la très populaire encyclopédie en ligne inaccessible. Pour le journaliste russe et auteur du livre sur l’internet russe “Red Web”, Andrei Soldatov, s’en prendre à Wikipédia dans son ensemble était l'objectif de départ. Moscou “a un problème avec les sites qui utilisent le https [comme Facebook ou Google, NDLR] car leur contenu échappe à l’outil de surveillance du Net des services de sécurité russes”, explique-t-il au site du Guardian. Selon lui, le pouvoir voulait faire de Wikipedia un exemple : s’ils ne peuvent pas contrôler ce qui est publié sur ces sites, ils ont les moyens de les censurer intégralement en trouvant un prétexte.

Les représentants russes de Wikipédia ont également estimé que Moscou avait une posture jusqu’au-boutiste dans cette affaire. “Généralement, on peut discuter avec les responsables de Roskomnadzor lorsqu’un article pose problème, mais cette fois-ci nous n’avons jamais réussi à joindre quelqu’un”, a affirmé au Washington Post Stanislav Kozlovskiy, directeur de la fondation Wikimédia en Russie.

Le blocage de quelques heures semble plutôt indiquer une mise en garde. L’argument des autorités pour lever aussi rapidement la sanction peut d'ailleurs également surprendre. Elles ont, en effet, assuré que des changements satisfaisants ont été apportés au texte entre lundi et mardi. Les représentants de Wikipédia affirment, de leur côté, que le contenu de la page est resté identique, ce que confirme la section réservée à l’historique des modifications.