Barack Obama entame lundi la première visite d'un président américain en Éthiopie. Il a estimé que ce pays devait faire "plus d’efforts en matière de démocratie", alors que des journalistes et des blogueurs sont toujours en prison.
Reeyot Alemu est l'une des preuves vivantes que Barack Obama peut changer la donne démocratique en Éthiopie. La journaliste éthiopienne fait partie des trois journalistes et deux blogueurs libérés les 8 et 9 juillet 2015 par le gouvernement éthiopiens, trois semaines avant la venue du président américain à Addis-Abeba. Elle avait été condamnée à cinq ans de prison pour "actes terroristes" en critiquant le régime.
La lauréate du Prix mondial de la liberté de la presse 2013, s’est confiée à France 24 : "Je critiquais l’action du gouvernement sur le manque d’égalité et de justice. J’ai été accusée de terrorisme, mais c’est un argument du gouvernement qui ne souhaite pas être critiqué".
La famille de Reeyot est aujourd’hui étroitement surveillée par le gouvernement : sa sœur a dû quitter plusieurs emplois, ses proches restent discrets et cloîtrés dans leur appartement. Mais Reeyot ne compte pas se taire : "Je ne regretterai rien, car j’ai fait ce qu’il fallait faire pour une meilleure Éthiopie".
itBarack Obama n’a pour autant pas cessé de mettre la pression sur le régime éthiopien. En tournée dans la région et après un passage au Kenya, le président américain a déclaré lundi que l’Éthiopie devait "faire plus" en matière de démocratie et "ouvrir un espace à l’opposition et aux journalistes pour renforcer son régime".
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En Éthiopie, où la coalition au pouvoir depuis un quart de siècle vient de rafler tous les sièges aux élections législatives, le gouvernement est régulièrement accusé d'étouffer les critiques. Pour autant, lundi, le Premier ministre éthiopien affirmait que l'"engagement [du pays] envers la démocratie est réél", mais qu’il fallait du temps à cette "jeune démocratie" [l'Éthiopie a mis fin à sa dictature en 1991] pour aller dans le "bon chemin".
"Libérer deux blogueurs sur six n’a aucun sens"
La libération des cinq journalistes et blogueurs pourrait cependant s'apparenter à l’arbre qui cache la forêt. Selon le comité de protection des journalistes (CPJ), neuf journalistes seraient encore derrière les barreaux et quatre membres du collectif de blogueurs "Zone 9", très critiques envers le gouvernement, seraient toujours en prison.
Des décisions incompréhensibles pour un des membres du collectif, Endalk Chala, actuellement en exil : "La décision de la libération de deux blogueurs sur six est totalement incompréhensible, puisque les charges retenues sont exactement les mêmes", explique t-il à France 24 en dénonçant une décision "arbitraire, qui montre à quel point cette sanction est politique".
Certains des blogueurs ont pour l’heure vu leur procès reporté 32 fois et attendent depuis quinze mois derrière les verrous.
"Plein d'espoirs"
Le département d'État américain a bien conscience de cette situation et a lui-même mentionné dans son dernier rapport sur les droits de l'Homme en Éthiopie des "restrictions à la liberté d'expression", le "harcèlement et l'intimidation des membres de l'opposition et des journalistes", ainsi que des "procès politiques".
Mais pour Barack Obama, il est nécessaire d’être habile. L’Éthiopie est un allié important en matière de sécurité dans la Corne de l'Afrique. Addis Abeba joue un rôle central dans la lutte contre les islamistes somaliens shebab, avec un contingent de quelque 4 400 hommes au sein de la force de l'Union africaine en Somalie (Amisom).
"Je reste plein d’espoir", lâche cependant Endalk Chala, "si le régime ne libère pas les autres blogueurs et journalistes, il se tire une balle dans le pied, car cela montrerait qu’ils n’ont aucune cohérence".