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L’échec de la politique du président turc Erdogan en Syrie

Pour la première fois depuis le début du conflit syrien, la Turquie a frappé, vendredi, des positions de l’EI en Syrie. Cette entrée militaire tardive dans la lutte anti-jihadistes signe l’échec d’une politique plutôt attentiste.

C’est la première fois depuis le début du conflit syrien qu’Ankara est entré de plain-pied dans la coalition anti-EI. En bombardant vendredi 24 juillet, des positions de l’organisation de l’État islamique (EI) en Syrie, le régime turc est en effet sorti de son immobilisme pour riposter à un accrochage meurtrier survenu la veille entre ses troupes et les jihadistes à la frontière turco-syrienne.

Excédée par la mort de l’un des ses sous-officiers, la Turquie a également autorisé, pour la première fois, les États-Unis à utiliser plusieurs de ses bases aériennes, dont celle d'Incirlik (dans le sud), pour mener des raids aériens. Le symbole est fort : jamais encore le régime turc n’avait publiquement soutenu la coalition menée par les Américains. Ce feu vert d'Ankara, longtemps sollicité par Washington, a été officialisé après un entretien téléphonique dans la nuit de jeudi à vendredi entre Recep Tayyip Erdogan et Barack Obama.

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"L'opération menée contre l'EI a rempli son objectif et ne s'arrêtera pas", a affirmé de son côté le Premier ministre Ahmet Davutoglu. "Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour protéger nos frontières ".

Laxisme

Mais cette intervention pourrait bien arriver trop tard. Le président turc était resté jusque là l’arme au pied face à l’EI. Le pays n’a voulu intervenir ni aux côtés des Français et des Américains, ni aux côtés des milices kurdes (YPG) qui se battent contre l’EI au nord de la Syrie.

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À l’époque, au printemps 2014, Ankara avait justifié son refus par le rapt de 49 Turcs retenus en otage par l’EI en Irak. Une posture officielle qui, par bien des aspects, arrangeait Erdogan : soutenir la coalition revenait à soutenir les Syriens de l'YPG, eux-mêmes proches des militants indépendantistes kurdes du PKK, les ennemis jurés d’Ankara...

Les autorités turques ont également tardé à sécuriser la frontière de 900 km avec la Syrie, laissant ainsi passer de nombreux candidats étrangers au jihad et laissant prospérer de nombreux commerces de contrebande. Il y aurait aujourd’hui près de 3 000 Turcs dans les rangs de l’EI.

"L'EI n'était pas une priorité pour la Turquie"

La Turquie, violemment critiquée pour son laxisme, donc, s’est toujours portée en faux face à cette accusation. Force est de reconnaître que le pays n’est pas toujours resté complètement passif face à la montée en puissance de l’EI.

"En 2014, Ankara a ouvert ses frontières pour laisser passer les Peshmerga jusqu’à Kobané, il a aussi acheminé des armes au gouvernement irakien", rappelle Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. Plus récemment, le pays a également eu une "attitude de plus en plus restrictive à l'égard des jihadistes qui traversaient ses frontières", ajoute Tancrède Josseran, spécialiste de la Turquie et attaché de recherche à l'Institut de stratégie comparée (ISC).

Trop peu, cependant, pour contrer l’offensive jihadiste. "Pendant longtemps, l'EI n'a pas été une priorité pour la Turquie, explique Tancrède Josseran. Ses seuls objectifs étaient de faire tomber Bachar al-Assad et d'empêcher la création d'une zone autonome kurde sous contrôle du PKK. À l'époque, l'EI faisait figure de moindre mal".

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Même analyse de Wassim Nasr. "Ankara a aussi commis quelques échecs stratégiques, il a parié sur le rapide renversement d’Assad et sur les rebelles syriens [de l’Armée syrienne libre], mais cela n’a pas marché."

"Importante assise populaire pour l'EI en Turquie"

Un an après, Ankara se retrouve au pied du mur. Pis, la situation dégénère gravement. Sur le plan de la politique intérieure, l’EI gagne du terrain. Idéologiquement d’une part, avec "une importante assise populaire en Turquie pour l’EI", selon Wassim Nasr. Géographiquement d’autre part : le groupe est accusé d’être entré pour la première fois en territoire turc pour commettre un attentat anti-kurdes qui a fait 32 morts, le 20 juillet, à Suruç, dans le sud du pays.

Si l’attentat est revendiqué, les jihadistes auront réussi à menacer l’intégrité territoriale de la Turquie, dernier verrou du Moyen-Orient avant l’Europe.

Mais pas d’alarmisme pour autant, nuance le spécialiste. "Il ne faut pas surévaluer la puissance de l’EI. Si le groupe jihadiste a les moyens de commettre des attaques à la frontière turco-syrienne, il n’a en revanche pas les moyens de menacer l’État turc, encore moins de le faire s’effondrer ! On est encore très loin, à l’heure actuelle, de ce scénario catastrophe".