Plusieurs centaines de migrants en perdition ont été secourus vendredi au large de l’Indonésie. Les organisations humanitaires dénoncent un "ping-pong humain" entre les pays d'Asie du Sud-Est, peu enclins à trouver une solution.
L’ampleur du débarquement témoigne d’une situation dramatique. Près de 2 500 personnes ont accosté vendredi sur les côtes indonésiennes après une dérive de deux mois en bateau sur la mer d’Andaman. Abandonnés par leurs passeurs, ces migrants doivent leur survie à l’intervention de pêcheurs indonésiens venus leur porter secours.
"La plupart n’avaient pas mangé et bu depuis plusieurs jours" raconte Marie Dhumières, correspondante pour France 24 en Indonésie. Des policiers affirment avoir vu certains migrants en jeter d’autres par-dessus bord pour éviter au bateau de couler.
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Ce bateau n’est qu’un exemple d’un flux continu de migrants, qui a déjà vu environ 8 000 personnes tenter de débarquer dans plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est depuis trois semaines. Ces migrants sont essentiellement des Rohingyas, une communauté musulmane apatride vivant principalement en Birmanie et considérée comme l’une des minorités les plus persécutées au monde par l’ONU.
Depuis les violences interethniques qui avaient opposé cette minorité à des bouddhistes birmans en 2012, les Rohingyas sont pourchassés et fuient massivement la Birmanie. Parfois en bateau, d'autres fois via des passeurs thaïlandais qui les détiennent dans des camps en pleine jungle birmano-thaïlandaise jusqu’à ce que leurs proches puissent payer une rançon.
"Ne pas envoyer un ‘mauvais message’"
S'il prend des proportions dramatiques, le problème est loin d’être nouveau, comme le confirme à France 24 Sophie Ansel, spécialiste de la Birmanie et auteur du livre "Nous les innommables - un tabou birman" : "Il faut garder à l’esprit qu’il y a eu des bateaux avec des centaines de Rohingyas qui sont déjà morts en mer" souligne-t-elle. "Si les médias occidentaux parlent autant des boat people aujourd’hui, c’est probablement parce que la question des migrants les touche tout particulièrement" explique l’écrivaine, faisant référence aux milliers de migrants morts récemment en Méditerranée. "De nombreux facteurs régionaux participent également à cette médiatisation : la lutte contre le trafic humains et l'abandon de camps en jungle avec la révélation de fosses communes".
Pour endiguer ce trafic, la Thaïlande a récemment pris des mesures drastiques : elle a annoncé l’arrestation d’une dizaine de ces passeurs thaïlandais, et refoule tout bateau de migrants après avoir rempli ses obligations humanitaires en donnant eau et nourriture. Et elle n’est pas la seule à avoir une politique ferme vis-à-vis de ces migrants : la Malaisie et l’Indonésie ont également évoqué des risques sociaux et craignent pour l’emploi local. Ils redoutent de créer un "appel d’air" s’ils laissaient ces bateaux accoster.
"Incompréhensible, inhumain et effrayant" commente le Haut secrétariat des réfugiés de l’ONU. "Cela va inévitablement conduire à des morts qui auraient pu être évitées" renchérit l'ONG Human Rights Watch, qui n’hésite pas à parler de "ping-pong humain" entre les trois pays.
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"Tant que les Rohingyas seront maintenus dans des prisons à ciel ouvert, il chercheront à fuir"
Pour tenter d’endiguer le problème, un sommet entre 15 pays concernés est prévu le 29 mai. Le Premier ministre malaisien a demandé à ce que la Birmanie, "le pays d’origine des migrants", se joigne aux discussions. Pour l’heure, les autorités birmanes refusent d’y participer si le mot "Rohingyas", qu’ils ne reconnaissent pas, est utilisé. "Selon plusieurs experts, ces discussions, prévues dans une quinzaine de jours, arriveront peut être trop tard" explique Cyril Payen, le correspondant de France 24 en Thaïlande.
Mais pour Sophie Ansel, la question est ailleurs : "La médiatisation actuelle des bateaux en mer n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le sommet abordera peut être la question de Rohingyas, mais le fera-t-il sous l’angle du nettoyage ethnique dont ils sont victimes en Birmanie ? Tant qu’ils seront maintenus dans des camps de la mort, dans des prisons à ciel ouvert dans la région de l’Arakan (dans l’ouest de la Birmanie, où vivent la plupart des Rohingyas, NDLR) comme s’ils étaient des animaux, ils chercheront à fuir".
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