
Quelque 80 000 réfugiés tamouls originaires du Sri Lanka vivent actuellement en France. Quelques heures après l'annonce de la mort du leader des Tigres par Colombo, beaucoup craignent pour l'avenir de leurs proches restés au pays. Reportage.
Une chape de plomb s’est comme abattue sur les quelques rues du Xe arrondissement de Paris qui constituent le quartier sri-lankais de la capitale française, ce lundi, après l’annonce de la mort du Velupillaï Prabhakaran, le chef des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), par les autorités de Colombo.
Rue Perdonnet, boutiques et restaurants sont fermés depuis la veille, lorsque la rumeur du décès du "Tigre numéro un" a commencé à se répandre. Pour conjurer le sort, certains commerçants ont placardé sur le rideau métallique de leur magasin l’interview "exclusive" de Selvarajah Pathmanathan, publiée dimanche par le site Internet de Channel 4 News. Ce "dirigeant-clé des Tigres tamouls" y affirme que "son chef est toujours vivant".
Le Darfour et le Rwanda comme référents
Dans la rue, les rares passants ont beau encore "attendre confirmation de la nouvelle" et se méfier "de la propagande de l’État", les visages sont fermés, les mines abattues. "Les gens sont tristes parce que Prabhakaran était notre chef et qu’il s’est beaucoup battu pour nous", confie Sandy, réfugié originaire de la ville de Jaffna, dans le nord du Sri Lanka, qui tient un petit magasin d’alimentation dans la rue Cail. "Il faut les comprendre, renchérit une jeune femme, certains de nos parents espèrent retourner chez eux depuis plus de 20 ans. Or, ce matin, tous les journaux disent qu’ils n’ont plus de pays !"
Sur l’esplanade des Invalides, où une nouvelle manifestation a été organisée pour protester contre le "génocide" et les "crimes de guerre" perpétrés par l’armée régulière lors de l’assaut contre les LTTE, le ton est, en revanche, beaucoup plus véhément. Assises dans l’herbe sous des drapeaux noirs et rouges aux couleurs du deuil et de la rébellion, plusieurs dizaines de familles se sont regroupées "à deux pas de l’Assemblée nationale française" pour crier leur désespoir. Les comparaisons avec le Rwanda et le Darfour reviennent régulièrement. "Arrêtez de tuer des enfants", "Nous ne sommes pas des terroristes", "Français, président Sarkozy, aidez-nous s’il vous plaît !" comptent parmi les slogans les plus fréquents.
"La communauté internationale nous a abusés"
"Il faut absolument sauver les civils encore présents dans la zone de guerre, développe Namratha, une étudiante de 20 ans née en France de parents sri-lankais. Il n’y a personne sur place pour soigner les blessés. Le pouvoir est en train de brûler les corps et de nettoyer le terrain pour effacer les massacres."
Le comportement de la communauté internationale, surtout, ne passe pas. "Elle nous a abusés. C’est elle qui nous a amenés dans une négociation qui a débouché sur la disparition du peuple tamoul [en 2002, les LTTE et les autorités sri-lankaises avaient déclaré une trêve dont la Norvège assurait la médiation, avant que l’Union européenne n’inscrive la rébellion sur la liste des organisations terroristes en 2006, NDLR] !", déplore Kumar, qui dit avoir perdu, en six mois, sept membres de sa famille restée au Sri Lanka.
Arrivé en France en 1993, il fait aujourd’hui partie des quelque 80 000 réfugiés de la diaspora tamoule qui ont élu domicile dans l’Hexagone. Et qui craignent de devoir y rester encore longtemps depuis que leur Tigre ne rugit plus...