Face à la politique répressive menée par l’Union européenne en matière d’immigration clandestine, plusieurs chercheurs, à l’instar de l’économiste Alice Mesnard, proposent d’élargir les flux migratoires tout en s’attaquant au travail clandestin.
Après la série noire de naufrages ayant entraîné la mort de centaines de migrants en Méditerranée, l’Union européenne a présenté, lundi 20 avril, un plan visant à empêcher que ces tragédies se renouvellent. Renforcement des patrouilles, collecte de renseignements sur les flux migratoires, programme de retour rapide des migrants "irréguliers"… les dix points mis en avant par les Vingt-Huit ne font que consolider une politique migratoire répressive que d’aucuns jugent inefficaces.
Pour nombre de chercheurs, les récents drames survenus en Méditerranée témoignent en effet du peu d’efficacité des actions menées par les pays riches. Auteur de travaux sur l’immigration clandestine, Alice Mesnard, économiste à la City University de Londres, préconise de légaliser le "marché de l’immigration clandestine" par la vente de visas conjuguée à un accroissement de la répression. Entretien.
France 24 : En tant qu’économiste, quelles réponses pouvez-vous apporter à la question des flux migratoires clandestins ?
Alice Mesnard : Il nous semble important de réfléchir à d’autres politiques que celles menées actuellement et qui consistent soit à stopper les migrants dans les pays riches, soit à les empêcher de quitter les pays pauvres. Nous voulons monter qu’il existe d’autres outils et comme, ici, nous parlons d’un marché de l’immigration, il faut prendre en compte la réalité de ce marché…
Pourquoi, selon vous, les politiques répressives actuellement menées par les gouvernements des pays riches sont-elles contre-productives ?
Les politiques répressives peuvent éviter qu’il y ait un afflux encore plus important de migrants clandestins mais elles nourrissent également le marché illégal. La fermeture des frontières crée des services illégaux puisque les migrants ne disposent pas de moyens légaux pour passer dans les pays riches. L’augmentation des barrières légales rend peut-être le travail des passeurs plus difficile mais renforce aussi leur cartellisation et leur position monopolistique. C’est important de prendre en compte la réalité, c'est-à-dire que nous sommes face à un marché de l’immigration illégale qui renfloue les réseaux mafieux et peuvent poser des menaces aux États. Il faut voir ce qui se passe au Mexique, où ces mafias ont des activités transversales, qui touchent à la fois au commerce de la drogue, à la prostitution, aux trafics d’êtres humains, et peuvent, au bout du compte, constituer d’importants contre-pouvoirs.
Vous préconisez donc une libre circulation des hommes comme cela est le cas pour les capitaux et les marchandises…
L’idée est que ce soit l’État qui contrôle les flux migratoires plutôt que les passeurs. On propose que les États puissent se mettre en concurrence avec eux pour diminuer leur pouvoir sur ce marché. Les gouvernements pourraient proposer de vendre des visas à des prix tellement bas que les passeurs ne pourraient s’aligner sur l’offre et ceci sans rationnement du nombre de visas accordés. L’objectif étant de pousser les passeurs en dehors du marché, de les mener à la faillite. Mais cette démarche ne peut être efficace que si elle s’accompagne d’une plus grande répression, c’est-à-dire augmenter les contrôles aux frontières mais aussi responsabiliser, sinon sanctionner, les employeurs sur le problème du travail au noir, qui constitue un attrait pour les clandestins.
La vente de visas créera de fait un "appel d’air". N’est-ce pas une politique difficile à vendre auprès des gouvernements ?
Non, car si on augmente la répression, on peut alors proposer un prix de visas plus élevé, ce qui permet de contrôler le nombre de candidats à la migration. En effet, augmenter la répression permet de pousser plus facilement les trafiquants à faire faillite s'ils répondent à la politique en faisant du "low-cost".
La politique repressive actuelle de contrôle des frontières est financée par les ressources publiques et ne semble pas très efficace. Avec la vente de droits d’entrée, on pourrait générer des fonds qui soutiendraient le coût de la répression, ce qui constitue déjà un intérêt.
Il est vrai qu’étant donné les considérations politiques actuelles, les gouvernements préfèrent fermer les yeux sur les 200 000 personnes qui arrivent de fait en Europe chaque année. L’un des problèmes que soulève notre démarche est celle de la volonté politique des dirigeants. Veulent-ils avoir sur leur sol un plus grand nombre de migrants légaux ou un nombre stable d’illégaux, sachant qu’un tas d’entre eux meurent chaque année dans la Méditerranée ?
La question est alors de savoir quel type de migrants on veut avoir sur le sol des pays riches. Mais avec ce qui se passe actuellement en Méditerranée, il est difficile de continuer à fermer les yeux. C’est un choix politique : est-ce qu’on veut légaliser ou pas l’immigration ? Par analogie, on peut penser à ce qui s’est passé avec la légalisation de certaines drogues : elle était impensable il y a plusieurs années, et beaucoup de pays l’envisagent aujourd’hui.