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En images : "Carnets de route" de vingt-cinq femmes en quête d’identité

Vingt-cinq femmes, toutes marquées par l'exclusion ou la grande précarité, exposent à la galerie Fait et Cause, à Paris, 70 tirages et des "Carnets de route", des récits photographiques personnels où elles mêlent textes et dessins.

"La photographie est une petite voix", a écrit le photojournaliste américain Eugène Smith. Bahia, Blandine, Lyliie, Nelly, Kasia, Aziza, Vera ou Marie, ont trouvé la force de l’écouter. Elles viennent de France, d’Ukraine, d’Algérie, de Tunisie, de Tchétchénie, de Russie ou encore du Brésil. Elles ont entre la vingtaine et la soixantaine. Leur passé est une blessure et le présent reste une épreuve ; toutes connaissent la rue et l’exclusion. C'est ce qui fait la force de leur regard.

Réunies au sein de l’association "100 Voix!", vingt-cinq femmes présentent à Paris "L’une et l’autre", une exposition de 70 tirages et de "Carnets de route", courts récits photographiques où elles mêlent textes et dessins. On y découvre leur solitude, leurs démons, leurs fantômes. Mais on y voit aussi "le jour qui se lève", comme l’écrit dans son carnet l’Ukrainienne Marie Rudniska, sous la photo d’une lueur émergeant derrière son ombre.

Leurs carnets ne sont ni plaintes ni victimisation. Plutôt le témoignage de leur volonté de s’affranchir de ce passé et de se réapproprier leur image "mutilée par le regard des autres". "C’est la possibilité de marquer une pause dans leur histoire, pour que le passé n’entrave plus le présent, pour qu’elles puissent retrouver confiance en elles", écrit Sarah Moon, photographe multi-récompensée et curatrice de l’exposition avec le documentariste José Chidlowsky.

Une quête photographique

Les deux professionnels, qui ont initié le projet des Carnets de route, ne leur ont donné qu’une contrainte : livrer un autoportrait. Pour les unes, c’est un selfie, pour les autres, une ombre, un dessin ou un reflet effacé derrière une vitre. Kasia Grabowska s’est vue sous les traits d’un mannequin décharné, photographié sur un bout de trottoir. Lyliie Berry s’imagine comme une plante fanée, mais vivante, sous une couche de neige : "J’ai survécu malgré les vents et les tempêtes. J’ai pris racine sans jamais perdre la tête", écrit-elle au bic sous son cliché en noir en blanc.

"Avec l’autoportrait, c’est comme si elles se regardaient pour la première fois en se demandant ce que leur image raconte d’elles-mêmes. L’identité devient leur quête photographique", explique à France 24 José Chidlovsky. Peu à peu, "elles se réapproprient un monde qui leur était interdit, un monde qui les a exclues. Elles se recomposent un espace", poursuit Chidlowsky.

Celles qui ont été de "l’autre côté", du côté des invisibles, voient ce que l’on ne voit plus : des fleurs de bitume, le silence d’un jardin d’hiver, des silhouettes fugaces absorbées par une bouche de métro, une porte abandonnée qui ouvre sur un mur. Elles saisissent des bribes de réels pour en faire le reflet poétique de leurs rêves ou leurs cauchemars.

Accoucheurs d’images

Il y a trois ans, José Chidlowsky fondait l’association "100 Voix!" qui organise toutes les semaines des ateliers photographiques - qu'il anime, ainsi que Sarah Moon et des photographes des agences Magnum, Vu ou Tendance Floue -  dans différentes structures d’accueil de Paris. "Un atelier qui ne ressemble pas à ces workshop composés d’étudiants, d’amateurs ou de professionnels (…) Non, il s’agit de trouver un nouveau langage à travers l’image, un langage qui, en mêlant l’imaginaire et le réel, redessine à leur insu quelques facettes oubliées d’elles-mêmes", écrit Sarah Moon, présidente d'honneur de "100 Voix!"

Les stagiaires y apprennent les bases de la prise de vue, de la composition, de l’editing (choix des images) mais pas seulement. Elles y parlent d’elles et de leur passé, mais pas seulement. Elles échappent quelques heures à leur quotidien, mais pas seulement. Elles travaillent à l'élaboration de projets qui, après plusieurs mois, voire années pour certaines, ont modifié leur rapport au monde. 

Quand on lui demande de définir le projet, José Chidlowsky rejette l’appellation d’art-thérapie "un truc à la mode" en lequel il ne "croit pas trop" : "On n’est pas thérapeute, on ne leur demande pas ce qui leur est arrivé, elles parlent si elles le souhaitent". Il évacue de manière encore plus radicale la carte sociale : "On n’est pas dans l’empathie". Il parle de d’échanges "d’égal à égal", de "sympathie" éventuellement, de "confiance" toujours, puis finit par trouver la formule :"Nous sommes plutôt des sages-femmes".

Le regard de l'autre

En trois mois ou en trois ans, ces femmes ont accouché de "Carnets de route" qui seront tirés à 500 exemplaires chacun et distribués en librairie. L’exposition, elle, est exigeante, professionnelle. Les tirages sont vendus entre 100 et 750 euros, les bénéfices intégralement reversés aux photographes. "On voulait les confronter à une réalité, à un public pas gagné d’avance", insiste José Chidlowsky. Et le public a semble-t-il adhéré.

Plusieurs pastilles rouges – signes d’une vente – sont collées sous les photos. Présentée jusqu’au 25 avril dans la galerie parisienne "Fait et cause", spécialisée dans la photographie sociale, l’exposition tournera début juin au festival de photographie de portraits de Vichy, où les photos de Blandine, Nelly, Kasia, Vera, Marie et les autres seront exposées aux côtés de celle de Jean-Loup Sieff, Bruce Gilden ou Martina Bacigalupo. Une reconnaissance pour celles qui ont trouvé, avec la photo, une voix.

Exposition "L'une et l'autre // Carnets de route"
Galerie Fait et Cause
58 rue Quicampoix, 75004 Paris
Jusqu'au 25 avril - Gratuit