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Des centaines de milliers d'Argentins ont défilé mercredi pour réclamer justice dans l'affaire Alberto Nisman, ce procureur retrouvé mort alors qu'il devait faire des révélations sur la présidente Crisitna Kirchner.
Plus de 400 000 manifestants, selon la police de Buenos Aires, ont bravé la pluie mercredi 18 février, lors d'une marche silencieuse organisée en hommage au procureur Alberto Nisman, retrouvé mort le mois dernier alors qu’il s’apprêtait à faire des révélations sur les entraves de la présidente argentine Cristina Kirchner dans l'enquête sur un attentat antijuif en 1994.
Massée sous des parapluies, la foule, principalement des couples et des personnes âgées issues des classes moyennes et aisées, a répondu à l'appel de six procureurs qui avaient convoqué cette marche entre le Congrès et la Place de Mai, siège de la présidence, derrière la banderole "Hommage au procureur Alberto Nisman".
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Parmi les marcheurs, qui ont commencé à se disperser dans la soirée, se trouvaient l'ex-femme du procureur, la juge Sandra Arroyo Salgado, et leurs deux filles de 15 et 7 ans. La présence annoncée de plusieurs prétendants de l'opposition à la présidentielle du 25 octobre a été en revanche impossible à vérifier en raison du mauvais temps.
"Je suis ici pour réclamer justice pour ce pauvre homme qui a donné sa vie pour la vérité", a confié à l'AFP Marta Canepa, une enseignante de 65 ans. "Tout le pays demande justice. Nous sommes fatigués de ce gouvernement, de cette corruption", a renchéri Laura Gismondi, retraitée de 75 ans.
D'autres rassemblements étaient par ailleurs recensés dans le pays ainsi que dans plusieurs capitales autour du globe. La municipalité de Buenos Aires est dirigée par Mauricio Macri, opposant notoire à Cristina Kirchner.
Mobilisation "putschiste"
Le gouvernement a lui qualifié de "putschiste" la mobilisation et assuré que les accusations du procureur Nisman avaient pour but d'impliquer le pays dans le conflit au Moyen-Orient. "Je vous demande de bien ouvrir les yeux. Je ne parle pas de conspiration, [mais] il s'agit d'un monde d'intérêts" géopolitiques, a déclaré la chef de l'État dans une intervention retransmise à la télévision avant la manifestation.
L'attentat à la voiture piégée en juillet 1994 contre les locaux de la mutuelle juive de l'Amia à Buenos Aires, qui a fait 85 morts et 300 blessés, est à l'origine de cette affaire politico-judiciaire.
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En charge du dossier depuis 2004, le procureur Alberto Nisman, présenté comme proche des États-Unis et d'Israël, a rapidement accusé l'Iran d'être le commanditaire de l'attentat. Peu avant la découverte de son corps le 18 janvier dans la salle de bain de son appartement verrouillé de l'intérieur, une balle dans la tête et une arme à portée de la main, il avait accusé la présidente et le ministre des Affaires étrangères, Hector Timerman, d'entrave à l'enquête.
Le magistrat leur reprochait d'avoir couvert les suspects iraniens en échange de contrats commerciaux. Le lendemain de sa mort, il devait présenter les preuves de ses affirmations devant le Congrès.
Les partisans du gouvernement contestent farouchement cette version et dénoncent les liens entre Alberto Nisman et un sulfureux responsable des services secrets, Antonio Jaime Stiuso, écarté par Cristina Kirchner en décembre, qui aurait manipulé le magistrat pour nuire à la présidente.
Dubitatifs
L'enquête sur cette mort s'oriente vers un suicide, ce qui laisse dubitatifs une immense majorité d'Argentins, sans toutefois que l'on sache qui l'aurait éliminé, ni comment.
"Cette marche est un catalyseur des revendications sous-jacentes de la société, comme [la critique de] l'impunité. L'affrontement entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire n'est pas nouveau, mais le cas Nisman l'a ravivé", a estimé pour l'AFP le sociologue et politologue Rosendo Fraga.
L'analyste a souligné également le succès que représente cette marche pour l'opposition : "En presque 12 ans de kirchnérisme, [la présidente] n'était jamais parvenue à une telle convergence".
La gauche serre toutefois elle aussi les rangs derrière la présidente, qui est parvenue à faire taire - au moins pour l'instant - les voix dissidentes au sein de sa famille politique, où la perspective de la présidentielle attise les ambitions puisque la Constitution empêche Cristina Kirchner de briguer un troisième mandat.
Avec AFP