
Le procès du Carlton, dans lequel comparaissent 13 prévenus dont Dominique Strauss-Kahn, pour proxénétisme aggravé, a ouvert lundi. La défense dénonce un dossier biaisé et une enquête partiale. Le président du tribunal souhaite des débats dignes.
À l’extérieur de la salle de tribunal, lundi 2 février, les journalistes se pressent caméra au poing. Au compte-gouttes, les prévenus dans l’affaire dite du Carlton font leur apparition, mines renfermées. Sur les quatorze personnalités poursuivies, douze entrent timidement dans la salle d’audience, telles des stars déchues gênées par les flashs. Dominique Strauss-Kahn, la figure phare du dossier, est lui arrivé par une porte plus discrète. "Dodo la saumure", le tenancier de bordels en Belgique, sourit pour sa part aux cameramen d’un air confiant. Peu avant, il s’est rendu dans un troquet populaire face au tribunal, discutant naturellement avec les journalistes venus en nombre pour l’occasion.
Car dans cette affaire, Dominique Alderweireld, le vrai nom de "Dodo la saumure", est le seul à comparaître pour ce qu’il est officiellement : un proxénète. Parmi ses co-prévenus figurent en revanche des personnalités appartenant à des milieux apparemment éloignés des maisons closes : un ténor du barreau lillois (Emmanuel Riglaire), un commissaire de police autrefois prometteur (Christophe Largarde), des responsables d’hôtels de luxe (René Kojfer, Hervé Franchois, Francis Henrion), des entrepreneurs (David Roquet, Fabrice Paszkowski) et un ancien potentiel président de la République (DSK). À leurs côtés, une armée d’avocats complices et prêts à en découdre.
"Dossier biaisé, justice partiale"
Treize des mis en cause, répartis dans trois "réseaux", doivent répondre de faits de proxénétisme aggravé en bande organisée ayant eu lieu entre 2008 et 2011. L’affaire a fait couler beaucoup d’encre depuis sa révélation dans les médias, en 2011. Tellement d’encre que nombre d’avocats estiment désormais que le dossier a été taché, "jeté en pâture sur la place publique".
"Nous avons eu affaire à une campagne de presse à un niveau industriel", s’insurge Me Olivier Bluche, l’avocat de Christophe Lagarde, fustigeant une atteinte à l’impartialité et une procédure inéquitable dont il demande la nullité. D’autres avocats de la défense dénoncent un dossier "tronqué, biaisé", en référence à des écoutes administratives réalisées avant le début de l’enquête officielle et dont ils n’auraient, selon eux, pas eu connaissance. D’autres encore n’hésitent pas à parler d’une "enquête-fantôme" et de "faux procès-verbaux".
En réaction, Me David Lepidi, avocat de l’association Équipes d’action contre le proxénétisme, partie civile dans le procès, tente de recentrer le débat sur l’affaire. "Je m’attendais à un procès exemplaire sur une affaire de proxénétisme hôtelier", déclare-t-il, visiblement déçu de la tournure de l’audience.
Détails scabreux
La partie civile, de son côté, requiert le huis clos dans les débats, du moins ceux qui la concernent, leurs avocats appelant au respect de la dignité des prostituées. Quatre d’entre elles se sont constituées parties civiles et souhaitent éviter de divulguer publiquement les détails scabreux des soirées de jambes en l'air auxquelles elles ont participé. La demande est rejetée.
Le président, Bernard Lemaire, en profite néanmoins pour évoquer les descriptions de scènes de sexe qui, dans les prochains jours, alimenteront à coup sûr les débats. "Il ne s’agit pas de débattre de la ‘déontologie du libertinage’ ou de la normalité de la sexualité des uns ou des autres. Il s’agit de se baser sur des faits. Ce tribunal n’est pas le gardien de l’ordre moral, c’est celui du droit, prévient-il, à l’aube d’un procès qui doit durer au moins trois semaines. Je vous demande de faire en sorte que les débats se déroulent dans la dignité de chacun." Mardi 3 et mercredi 4 février sont prévues les auditions de trois prévenus (René Kojfer, Francis Henrion et Hervé Franchois), de la partie civile Sandrine Vandenshrink et du témoin Joël Specque, ex-commissaire de la police judiciaire lilloise.