En salles ce mercredi, "A most violent year" de J. C. Chandor retrace le parcours d'un entrepreneur latino-américain dans le New York des années 1980. Une œuvre brillante dans la lignée des grandes drames américains.
Mieux vaut tard que jamais. Il aura donc fallu attendre le dernier jour de 2014 pour que sorte en salles ce qu’on peut considérer comme le grand film américain de l’année. Avec le magistral "A most violent year", J. C. Chandor confirme sa place parmi les plus intéressants réalisateurs du cinéma d’auteur "made in USA". Après avoir exploré les errements de la finance ("Margin Call", 2011) et sondé, métaphoriquement, le sentiment de vulnérabilité qui gagne les États-Unis ("All is Lost", 2013), le cinéaste poursuit son auscultation des fêlures américaines avec une œuvre ample, cruelle, puissante.
Abel Morales (Oscar Isaac) est un immigré latino-américain qui dirige aux côtés de son épouse Anna (Jessica Chastain) une entreprise de transport de fioul à New York. Mais en cet hiver 1981 - connu pour être la période la plus criminogène que la ville ait connue -, ses camions deviennent la cible de plus en plus fréquente d’attaques à mains armées. Ses activités, par ailleurs, font l’objet d’une enquête diligentée par un juge (David Oyelowo) le soupçonnant d’abus de biens sociaux… Jusqu’où l’ambitieux patron osera-t-il aller pour maintenir la pérennité de son affaire ? Peut-on encore faire le bien lorsque le mal vous accable ?
Il n’y a qu’à voir le nom du héros de ce drame pour en mesurer la portée mythologique. Comme prédisposé par son prénom, Abel Morales subit les crimes plutôt que de les commettre. Il le répète d’ailleurs à l’envi : il ne veut pas devenir un gangster. Tout concourt pourtant à ce qu’il le devienne : la fourberie de ses concurrents, l’opiniâtreté des syndicats, l’ambition de son épouse, la roublardise de son avocat (Albert Brooks), la tartufferie du magistrat… Cet Abel est aux prises avec plusieurs Caïn.
Mais plus que le mythe biblique, c’est celui, plus profane, du bandit américain qui fait la force du film. Il faut voir la manière dont J. C. Chandor cultive intelligemment la ressemblance d’Oscar Isaac avec Al Pacino, façon "Le Parrain". Les mêmes traits, les mêmes costumes, la même attitude… Sauf qu’Abel Morales n’a rien d’un Michael Corleone. Il en est l’exact opposé. Un anti-mafieux en quelque sorte qui s’évertue à penser que le rêve américain peut être accessible aux honnêtes gens. Jusqu’à ce que sa peur viscérale de l’échec ne le pousse à reconsidérer ses principes…
Ambitieux mais rarement grandiloquent (la fin est inutilement "surdramatisée"), "A most violent year" a l’ampleur, tant dans l’écriture précise que dans la mise en scène majestueuse, de la trilogie de Francis Ford Coppola, qui démontait déjà le mythe de la réussite américaine. À n’en pas douter l’un des meilleurs long-métrages d’une année somme toute très avare en grands films.
-"A most violent year" de J. C. Chandor, avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, Albert Brooks, David Oyelowo, Elyes Gabel... (2h05).