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Brigade anti-négrophobie, une colère noire

Jusque là méconnue, la Brigade anti-négrophobie s'est récemment illustrée dans son combat contre l'exposition polémique "Exhibit B". Analyse d'un collectif radical, qui a entrepris de défendre les Noirs victimes de racisme.

Elle n’a pas de locaux, pas d’adresse administrative et pas de site internet. Juste un compte Facebook sur lequel s’accumulent des dizaines de messages et d’anecdotes répertoriant les actes racistes dont est victime la population noire en France et dans le monde. La Brigade anti-négrophobie, dont le nom résonne singulièrement, est un collectif plutôt nébuleux, récemment propulsé sur le devant de la scène médiatique à la faveur de son engagement contre "Exhibit B", exposition très controversée sur la reproduction d’un "zoo humain" tel qu’ils existaient au XIXe et début du XXe siècle.

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Jeudi 27 novembre, en début de soirée, ses membres ont participé à une manifestation musclée organisée devant le théâtre Gérard Philipe qui accueillait l’œuvre du Sud-Africain Brett Bailey. Au côté d'autres associations, ils se sont insurgés contre cette "performance artistique" mettant en cage des figurants noirs pour faire réfléchir l’homme blanc sur son passé colonial. Ce soir-là, plusieurs vitres du lieu culturel ont volé en éclats devant les caméras de télévision.

Se distinguer des autres associations antiracistes

Vêtus de tee-shirts noirs, arborant une carrure parfois impressionnante, les membres de la Brigade anti-négrophobie revendiquent ouvertement leur radicalité, jouent sur leur côté "intimidant", mais se défendent de toute violence. "On inspire la peur, oui, mais c’est normal. Tous les mouvements de révolte portés par les Noirs ont toujours été diabolisés", explique Franco, leader et porte-parole du collectif. "Prenez les Negmarrons [esclaves en fuite], par exemple. Ils étaient comparés au diable."

Quel est donc ce mouvement qui se définit autant comme une association antiraciste que comme un "mouvement de révolte" ? Sans Franco, difficile de répondre à cette question car il est ardu d’entrer en contact avec les membres de la "Brigade" dont le nombre est lui-même gardé secret pour ne pas donner de billes aux services de renseignement. Paranoïaque, ce collectif ? "Non, vigilant, plutôt", corrige Franco.

"On était pas bien placés dans l’échelle de la discrimination. C’est pour ça qu’on a décidé de créer le collectif", ajoute-t-il. Née en 2005 à la suite de plusieurs actes "négrophobes" - parmi lesquels l’affaire du texto raciste envoyé à l’ex-humoriste Dieudonné sur "les odeurs des Noirs" -, la Brigade anti-négrophobie a tout de suite voulu se distinguer des autres collectifs antiracistes (Cran, la Licra, SOS Racisme...), que le collectif dénigre, les qualifiant d’associations "de façade". Car Franco a une idée bien précise de son combat : il ne veut pas lutter contre le racisme mais contre la "négrophobie". "Comme si toutes ces associations [citées ci-dessus] comprenaient toutes les formes, toutes les composantes du racisme qui existent : anti-Arabes, anti-Noirs… Comme s’il n’y avait qu’un remède pour tous les maux."

Une association "dangereuse"

Un raisonnement qui fait bondir la Licra, association internationale de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. "C’est un collectif communautariste, et c’est là tout le problème. Les associations antiracistes sont universalistes, elles ne hiérarchisent pas le racisme. La Licra, par exemple, est née en 1920 dans un contexte fortement antisémite, mais elle a ensuite évolué après-guerre. Les victimes avaient changé. Il y a eu la décolonisation, la guerre d’Algérie…", explique Alain Jabukowicz, son président, qui dénonce la douteuse compétition victimaire et mémorielle dans laquelle s’est engagée la Brigade.

"Est-ce que la mémoire des victimes de la Shoah est plus importante ou moins importante que celle des victimes de la traite négrière ? Cette association n’est pas illégitime mais elle est dangereuse. Elle conduit à ce genre de raisonnements. Elle ne tend pas au ‘vivre ensemble’ et elle ne s’appuie pas sur le modèle républicain", ajoute Alain Jabukowicz.

Surtout, elle ne veut pas s’appuyer dessus. La Brigade anti-négrophobie ne croit pas au modèle français puisqu’elle est intimement persuadée que la France est un État "fondamentalement raciste", lâche sans hésiter Franco, au bout du fil. "L’Éducation nationale, par exemple, est un outil de propagande qui met toujours les mêmes en haut de l’échelle des races et des classes et toujours les mêmes en bas […] en faisant disparaître les Noirs des livres d’Histoire […] Ça ne nous intéresse pas d’être reconnus par un État qui ne nous considère pas."

"Je suis déçu qu’on les présente comme des extrémistes"

Un parti-pris tranché, voire extravagant, qui ne l’empêche pas de récolter le soutien de certains militants antiracistes. John Mullen, par exemple, porte-parole du collectif anti-Exhibit B, défend ce sulfureux mouvement. "Ils ont travaillé avec nous depuis deux mois, ils n’ont jamais été violents. Ils ont même donné l’ordre de laisser les visiteurs rentrer dans le théâtre [à Saint-Denis, jeudi 27 novembre, pour voir l’exposition Exhibit B]", explique l’universitaire anglais. "Je suis déçu qu’on les présente comme des gens violents et extrémistes."

Qu’en est-il alors de ces "rencontres", de ces "meetings", dans les années 2005, aux côtés de l’ex-humoriste antisioniste Dieudonné et du militant Kémi Seba, leader de Tribu Ka, prônant ouvertement la suprématie noire ? Franco les a bien côtoyés. Mais il refuse de commenter ces entrevues : il ne les cautionne, ni ne les condamne. "Nous avons des accords et des désaccords mais je refuse de me prêter au jeu de la division avec le ‘bon Noir’ et le ‘mauvais Noir’, ça ne m’intéresse pas", répète-t-il.

Mais ne pas prendre position est un jeu dangereux. Franco "fait le jeu de l’extrême-droite", s’inquiète le président de la Licra. Défendre la cause noire, ce n’est pas être anti-Blanc, mais défendre la cause noire sans condamner les relents antisionistes des uns et les idéologies douteuses des autres, c’est flirter avec l’idée nauséabonde qu’il existerait une possible incompatibilité raciale. "Et une possible incompatibilité de mémoire collective", s’offusque Alain Jacubowicz. "C’est vraiment très inquiétant… Comme si l’antisémitisme n’était que l’affaire des juifs et l’esclavage que l’affaire des Noirs…"