
Le président de la Commission européenne a annoncé, mercredi, la création d'un Fonds européen d’investissement stratégique, visant à doper la croissance. Malgré son montant - 315 milliards d’euros, il ne reste qu'un reste un bel effet d’annonce.
Jean-Claude Juncker veut doper l'investissement européen à coup de centaines de milliards d'euros. "Aujourd’hui, Noël arrive tôt", a martelé, mercredi 26 novembre, le président de la Commission européenne en annonçant un plan pour mobiliser 315 milliards d’euros sur trois ans destinés à l’investissement pour doper la croissance européenne.
Mais tout est dans l’effet d’annonce. La somme évoquée par Jean-Claude Juncker, près de trois fois supérieure au plan de relance européen de 120 milliards d’euros acté en 2012, n’est qu’un objectif à atteindre. La mise réelle d’argent public de l’Union européenne, à la base du plan, n’est que de 16 milliards d’euros, bien loin donc des 315 milliards d’euros annoncés. Toute l’astuce consiste donc à créer un effet loupe en incluant, dans le montant annoncé, des fonds privés qui seront potentiellement investis… et en présentant le tout dans un programme apparaissant crédible. Explications de ce tour de passe-passe.
Création du Fonds européen d’investissement stratégique (Feis). Il s'agit de la seule véritable nouveauté annoncée par Jean-Claude Juncker. Une structure créée pour piloter les projets d’investissement qui entreront dans le cadre du plan de relance de la Commission européenne. Le Feis bénéficiera de l’expertise de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour mener à bien sa mission.
Une dotation de 16 milliards d’euros de fonds publics pour le Feis. L’argent frais que l’Union européenne mettra dans les coffres du Feis s’élève à seulement 16 milliards d’euros. Un capital qui n’aura pas été mobilisé pour l’occasion puisque que les États avaient déjà accepté de verser ce fonds au budget européen voté en 2013 (pour la période 2014-2020).
La Banque européenne d’investissement (BEI), de son côté, apportera une garantie de cinq milliards d’euros, qu’elle s’engage à verser en cas d’imprévu. L’Union européenne met donc en place une structure dotée d’un budget de… 21 milliards d’euros "sans amener le moindre centime d’argent nouveau", résume Pascal de Lima, chef économiste au cabinet conseil EcoCell.
La magie de l’effet levier. Mais comment transformer 21 milliards d’euros en 315 milliards d’euros ? Jean-Claude Juncker mise sur un effet de levier de 1 sur 15. Le président de la Commission européenne assure que "chaque euro investi va rapporter 15 euros", explique Pascal de Lima. Il appelle les acteurs privés à investir dans les projets retenus par le Feis car, plaide-t-il, au bout du compte, ils multiplieront par 15 leur mise de départ. C’est cet appel au secteur privé qui permet à Jean-Claude Juncker d’évoquer un plan de relance sur trois ans de 315 milliards d’euros.
L’effet de levier est-il garanti ? C’est toute la question. "Le pari de Jean-Claude Juncker est très osé, mais conforme à son discours de campagne pour remplacer Manuel Barroso", juge Pascal de Lima. Le nouveau président de la Commission avait calculé en juillet 2014 que le développement du numérique connecté, des infrastructures et de l’économie verte pouvait rapporter plus de 300 milliards d’euros au PIB européen. Jean-Claude Juncker entend donc demander au secteur privé de financer son projet de campagne.
Cependant, les plans d’investissement qui misent beaucoup sur l’effet de levier "n’ont jamais très bien réussi en Europe", souligne Pascal de Lima. Et de rappeler le "syndrome du Portugal" dans les années 1990 : les autorités européennes et portugaises avaient évoqué des ratios de 1 sur 22 pour mobiliser les fonds privés, ce "qui avait permis de construire des magnifiques autoroutes que personne n’utilise aujourd’hui".
Le potentiel d’investissement existe. Jean-Claude Juncker n’a pourtant pas tort de vouloir stimuler l’investissement privé. Les entreprises européennes ont accumulé près de 900 milliards d’euros qu’elles rechignent à investir en raison du contexte économique actuel, d’après un rapport du cabinet d’audit Deloitte publié le 15 septembre 2014.
"Jean-Claude Juncker espère qu’avec l’assurance d’être soutenue par l’Union européenne et grâce à la garantie de la Banque européenne d’investissement, ces entreprises se décident à réinvestir l’argent qu’elles ont mis de côté", résume Pascal de Lima.
Mais rien ne garantit que le secteur privé européen joue le jeu. À défaut d’investisseurs européens, peut-être Jean-Claude Juncker espère-t-il se rappeler au bon souvenir des grands fonds souverains qataris ou chinois...