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Centenaire 14-18 : voilà pourquoi je porte un coquelicot pour le 11-Novembre

À l’approche du 11-Novembre, je porte sur ma veste une fleur de papier rouge. C'est une façon, pour moi comme pour de nombreux Britanniques, de rendre hommage aux victimes de la Grande Guerre, parmi lesquelles se trouve mon grand-oncle, Albert Todd.

C’est le même rituel tous les ans. Quand approche le 11-Novembre, presque tous les Britanniques, ainsi que de nombreux habitants des pays du Commonwealth, accrochent à leurs vêtements des coquelicots en papier pour honorer la mémoire des victimes de la Grande Guerre.

Ces fleurs sont tellement omniprésentes au Royaume-Uni qu’un homme politique ou une personnalité publique qui apparaîtrait à la télévision sans son "poppy" dans la semaine précédant le 11-Novembre provoquerait à coup sûr un scandale.

Cette tradition n’est pas toujours connue à l’étranger. Et les Britanniques expatriés, comme moi, doivent parfois composer avec des regards curieux en cette journée du Souvenir. "Mais pourquoi porter une fleur en papier comme symbole du sacrifice fait par ces nombreux soldats morts au combat ?", semblent se demander les passants que je croise en France.

Répondre à cette question n’est pas chose aisée. Les "poppies" (coquelicots), qui symbolisent les fleurs ramenées de Flandres par les soldats de la guerre 14-18, sont portés pour de nombreuses raisons – qui, le plus souvent, ne sont ni nationalistes ni militaires. Chaque fleur représente un don d’argent fait à la Royal British Legion, une association caritative en charge des anciens combattants. Aujourd'hui, les vétérans de la Première Guerre mondiale sont tous morts et enterrés, mais des soldats britanniques continuent de risquer leur vie à travers le monde. La Royal British Legion poursuit ainsi son action.

"Disparu, présumé mort"

À cela s’ajoutent les raisons du cœur. Le nouveau mémorial de Notre-Dame-de-Lorette, qui sera inauguré ce 11-Novembre, répertorie, sans distinction de nationalité, les noms des quelque 580 000 soldats tués dans le Nord-Pas-de-Calais (nord de la France) durant la Première Guerre mondiale. Un rappel saisissant de l’ampleur de ce conflit, qui a épargné peu de familles françaises, britanniques et allemandes.

Malheureusement, la liste des noms de ce mémorial est incomplète, car celle-ci ne recense pas forcément tous les hommes tués dans la région : les noms de certains d'entre eux sont inscrits sur des monuments militaires de régions voisines.

L’un de ces oubliés n’est autre que le fusilier britannique Albert Charles Todd, mon grand-oncle. Sa mémoire est commémorée dans le village de Thiepval, en Picardie, sur le monument aux morts dédié aux 75 000 soldats britanniques et sud-africains tombés lors de la bataille de la Somme en 1916 et dont les corps n’ont jamais été retrouvés.

Un carnage colossal

L’histoire de mon ancêtre est typique de ce début de XXe siècle. Adolescent lorsque la guerre éclate, il s’engage dans l’armée britannique à 17 ans, en mentant sur l'année de sa naissance. Car il lui faudrait encore attendre quelques mois pour pouvoir rejoindre les rangs de l’armée

En ce début d'été 1916, le jeune homme originaire de Hastings, sur la côte sud de l'Angleterre, a tout juste 18 ans quand il est propulsé dans la barbarie de la Première Guerre mondiale. Son bataillon, le 12e du régiment de Londres, s'engage le 1er juillet dans la terrible bataille de la Somme. L’objectif : faire diversion en reprenant aux Allemands le village fortifié de Gommecourt, situé à l’extrême nord du front. La stratégie est un échec, la bataille la Somme tourne au carnage.

Le 1er juillet 1916 est la journée la plus sanglante de l’histoire de l’armée britannique : 20 000 soldats sont tués, les blessés se comptent par dizaines de milliers. Le bataillon d'Albert Charles Todd perd à lui seul les deux-tiers de son contingent. Le jeune soldat tombe au combat. Son corps, comme celui de milliers d'hommes, ne fut jamais retrouvé.

La bataille de la Somme a duré jusqu’en novembre. Elle a coûté la vie à quelque 300 000 Français, Britanniques et Allemands, pour une avancée minime des Alliés.

Des conséquences durables

Les parents du jeune Albert Charles ont été informés par un courrier laconique que leur fils était "disparu, présumé mort". Un choc dévastateur pour la famille et en particulier pour le frère d’Albert, Bill, alors âgé de 10 ans. Ce petit garçon, qui allait devenir mon grand-père, garda à jamais la douleur d’avoir perdu son grand frère.

Les enfants de Bill – mon père et mon oncle – ont ainsi grandi imprégnés de cette tragédie familiale. Et les troisième et quatrième générations de la famille Todd en ont également une conscience aiguë.

Voici donc les raisons pour lesquelles tous les 11-Novembre, je porte un coquelicot en papier sur le revers de ma veste. Il ne s’agit pas de célébrer de façon cocardière les exploits guerriers du Royaume-Uni. Il ne s'agit pas non plus d’un symbole de fierté nationale ou familiale. C’est simplement pour moi une façon de rappeler que le coût humain de la guerre va bien au-delà du champ de bataille : il se mesure également à l'aune du lourd et douloureux fardeau porté par les familles des soldats morts au front, mais aussi par les proches de ceux qui en sont revenus, psychologiquement dévastés par ce qu'il y ont vécu.

Les blessures disparaissent et les peines s’estompent avec le temps, mais les conséquences brutales, destructrices et durables de la guerre ne doivent jamais être oubliées.