"Le Monde" a affirmé samedi détenir des preuves selon lesquelles l’ex- Premier ministre UMP a demandé, en juin, au secrétaire général de l’Élysée d’accélérer les procédures judiciaires à l’encontre de Nicolas Sarkozy.
Que s’est-il exactement passé pendant ce fameux déjeuner du 24 juin 2014 entre le secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, et l’ancien Premier ministre UMP François Fillon ? D’après les révélations des deux journalistes du "Monde", Fabrice Lhomme et Gérard Davet, l’ancien hôte de Matignon aurait, ce jour-là, pressé Jouyet, un de ses amis qui fut également secrétaire d’État dans son gouvernement, d’abattre politiquement Nicolas Sarkozy.
De quelle manière ? Dans leur livre à paraître "Sarko s’est tuer", et dans leur article très détaillé, publié samedi 8 novembre, les deux journalistes expliquent que François Fillon a incité le secrétaire général de l’Élysée à "taper vite" sur l’ancien président de la République afin d’accélérer les poursuites judiciaires à son encontre. À l’époque, l’affaire Bygmalion bat son plein. Fillon en aurait donc profité pour essayer de manœuvrer contre son rival : surfer sur le scandale pour pousser François Hollande, par l'intermédiaire de Jouyet, à peser sur l'affaire judiciaire concernant les dépassements de frais de campagne de 2012 de Sarkozy*. "C’est de l’abus de bien social Jean-Pierre", lui aurait lancé Fillon, "c’est une faute personnelle, l’UMP n’avait pas à payer […] Jean-Pierre, tu as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir. Alors agissez !".
Après avoir nié ces propos, Jean-Pierre Jouyet a finalement déclaré dimanche avoir évoqué, avec François Fillon, l'affaire Bygmalion et les pénalités de l'UMP (ardoise payée par l’UMP pour le dépassement des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, en 2012). Fillon a aussitôt contre-attaqué. Interrogé au sujet de l'affaire dimanche soir sur TF1, ce dernier a accusé Jean-Pierre Jouyet de "mensonge". "Nous n’avons pas parlé des pénalités. Si Monsieur Jouyet dit cela, c’est un mensonge", s'est défendu l'ex-Premier ministre.
Révélations explosives
En moins de 24 heures, l’affaire fait la une des médias français. Il faut dire que les révélations sont explosives : un ancien Premier ministre UMP qui "complote" avec le plus proche collaborateur de François Hollande, un président socialiste, en vue d’abattre un adversaire de sa propre famille politique, ça fait mauvais genre. L’affaire prend déjà une tournure judiciaire et François Fillon, conscient de l’image désastreuse que cette affaire va lui coller sur le dos, porte plainte pour diffamation contre "Le Monde" et contre ses deux journalistes.
Mais Lhomme et Davet, réputés pour leur professionnalisme, ont, de leur côté, "blindé" leur version. Sereins, ils ont donc affirmé détenir un enregistrement audio prouvant la nature de leur allégation. La conversation enregistrée, non diffusée, n’est pas celle du déjeuner, mais celle d’une interview de Jean-Pierre Jouyet, interrogé au palais présidentiel, le 20 septembre. Selon Francis Lhomme et Gérard Davet, le secrétaire général de l’Élysée a, de son plein gré, rapporté les propos de Fillon et les deux journalistes affirment avoir enregistré l’entretien avec l’assentiment de l’intéressé. L’ancien Premier ministre a demandé aux deux journalistes de révéler les enregistrements.
>> À lire sur France 24 : Fillon veut "court-circuiter Sarkozy et se positionner pour 2017"
L'information est doublement gênante pour François Fillon : lui qui s’est toujours présenté comme un homme intègre face à Nicolas Sarkozy, revêt aujourd’hui l’habit du traître – ou du moins du rival déloyal. Il risque ainsi de mettre en péril sa candidature pour la présidentielle de 2017. Si les enregistrements du "Monde" sont avérés et si la voix de Jouyet est authentifiée, quelle serait sa ligne de défense ?
Le beau rôle de François Hollande
L' implication du secrétaire général de l'Élysée dépasse, elle, la sphère personnelle pour porter atteinte à la plus haute institution de l’État : un ami intime du président de la République entretenant des relations "troubles" avec un ancien ministre de droite, "c’est très grave", a confié un membre de l’exécutif à l’AFP, sous couvert d’anonymat."C'est une affaire d'État", a lancé, de son côté, Henri Guaino, un proche de Sarkozy, au micro de Europe 1. En outre, un porte-parole de la présidence discutant avec un tiers d’un possible concours de l’État sur des procédures judiciaires en cours, laisse sous-entendre que la séparation des pouvoirs n’est qu’un leurre démocratique.
Le palais présidentiel, sollicité samedi par l'AFP, est resté silencieux. Mais un proche du président souligne que François Hollande s'est toujours tenu scrupuleusement au respect de l'indépendance de la justice.
Le chef de l'État n'est pas mis en cause dans l’article du "Monde". Selon les propos rapportés de Jean-Pierre Jouyet, François Hollande a opposé un non catégorique à toute intervention de sa part dans cette affaire. "François (Hollande) m'a dit: ‘Non, non, on ne s'en occupe pas’", relate le quotidien. Le chef de l’État semble être le seul à ressortir gagnant de cette affaire, en honorant la fonction présidentielle et en refusant d’interférer dans le domaine de la justice. François Hollande a par la même occasion démenti l’existence d’un "cabinet noir" à l’Élysée, dont le but serait de tirer les ficelles dans les procédures judiciaires lancées contre Nicolas Sarkozy.
Avec AFP
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
*Historique des pénalités financières infligées à Nicolas Sarkozy :
Décembre 2012 : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) inflige une pénalité financière d’environ 400 000 euros à Nicolas Sarkozy pour dépassement du plafond autorisé pour les dépenses de campagne lors de la présidentielle de 2012.
Novembre 2013 : le ministère de l'Économie donne son aval au paiement par l'UMP, à la place de Nicolas Sarkozy, de ces pénalités. Bercy encaisse la créance.
1er juillet 2014 : les avocats du nouveau triumvirat à la tête de l’UMP (Fillon-Juppé-Raffarin) conteste le versement de la somme par l’UMP et alerte le parquet de Paris.
Juillet 2014 : une information judiciaire est ouverte qui vise à déterminer si l'UMP pouvait se substituer à Nicolas Sarkozy pour prendre en charge les 400 000 euros de pénalités. Le président de la CNCCFP, François Logerot, estime que les pénalités s'adressent au candidat lui-même, "responsable de son compte".
Octobre 2014 : une information judiciaire est ouverte contre Nicolas Sarkozy pour "abus de confiance", "complicité" et "recel".
L’article L52-15 du code électoral stipule que "dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public".