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Grande Guerre : quand les archéologues rendent leur identité aux disparus

Depuis plus de 20 ans, l'archéologie de la Première Guerre mondiale s'est développée en France. Les scientifiques permettent de mieux comprendre la Grande Guerre et parfois d'aider à identifier les corps d'anciens soldats disparus.

La petite ville de Saint-Laurent-du-Pape, en Ardèche, va vivre, vendredi 31 octobre, une cérémonie assez inhabituelle. Enfant du pays, Fernand Terras va être inhumé dans le cimetière de la commune, 99 ans après sa mort. Ce soldat a perdu la vie, à l'âge de 19 ans, durant la Première Guerre mondiale. Touché par un éclat d’obus le 26 septembre 1915, à des centaines de kilomètres de là, près de la Main-de-Massiges, il a succombé dans ce haut lieu des combats de Champagne. Sa famille avait été prévenue de son décès quelques mois plus tard, mais il aura fallu près d’un siècle avant que son corps ne soit retrouvé en août 2013.

Malgré des décennies passées dans la terre champenoise, l’identification de son squelette a été rendue possible grâce au travail d’Yves Desfossés, conservateur régional de l'archéologie en Champagne-Ardenne. "Il est tombé la tête la première dans un cratère d’obus et il a ensuite été recouvert", explique-t-il à France 24. "On a pu l’identifier car il avait sa plaque d’identité qui était encore bien lisible. On a ensuite retrouvé sa fiche sur le site Mémoire des hommes. À partir de là, l’association de la Main-de-Massiges a pris contact avec sa famille qui a demandé à ce qu’il soit enterré dans son village natal".

Depuis près de 25 ans, cet archéologue étudie les vestiges de la Grande Guerre. Une discipline qui a mis du temps à se développer et à être véritablement reconnue. "Au début, les archéologues n’avaient pas les clés de lecture pour cette période dans la mesure où leur formation les préparait plutôt à trouver des choses plus anciennes", explique Yves Desfossés, qui était lui-même spécialisé dans l’âge du Bronze. "Quand vous trouvez des obus ou des munitions, ce n’est pas rassurant. On a plus envie de les laisser sous la moquette".

Peu d’identifications

Mais avec la multiplication des grands travaux et des fouilles historiques, de plus en plus de traces de la guerre 14-18 ont été mises au jour. Un peu partout sur la ligne de front, de la mer du Nord à la Suisse, Yves Desfossés et ses confrères sont régulièrement appelés pour étudier des restes d’une tranchée ou des sépultures. Ils mettent désormais leur compétence d’archéologues à contribution pour identifier les disparus de la Grande Guerre. Quand un corps est découvert, après les constatations de la gendarmerie et du service des sépultures nationales, ils se rendent sur place pour procéder aux premières fouilles : "On commence par faire un diagnostic pour voir s’il s’agit d’un corps isolé ou d’une fosse commune. On regarde aussi la disposition des éléments d’équipements et des objets personnels des soldats".

L’archéologue peut travailler sur moins d’une dizaine de dépouilles par an. "En 2014, par exemple, on a trouvé cinq Allemands regroupés ensemble à la Main-de-Massiges. Cela peut aller d’un gars qui est tombé tout seul dans un trou d’obus à une sépulture avec plusieurs individus", résume le conservateur régional. Même si dans le cas de Fernand Terras, l’identification a été très rapide, dans la plupart des cas, elle se révèle impossible : "Sur deux individus, on avait retrouvé des alliances avec des initiales, mais cela n’a pas donné de résultats. Seulement 10 % des soldats portent une plaque d’identité, souvent illisible. Sur une dizaine d’années de pratique, en Champagne-Ardenne, on a dû en identifier trois ou quatre".


Un travail d’archéologue et un devoir de mémoire

Réussir à mettre un nom sur un squelette vieux de cent ans. Une émotion très forte pour des archéologues plus habitués à travailler sur des tombes anonymes. Depuis qu’il s’intéresse à cette période de l'histoire, Yves Desfossés avoue avoir changé sa manière d’appréhender la discipline. "Cela me marque de plus en plus à mesure que je prends de l’âge. Je m’aperçois que j’ai affaire à des gamins qui avaient entre 20 et 25 ans", explique le spécialiste de la Der des Der. " Il y a un devoir de mémoire. Quand il s’agit d’une sépulture gallo-romaine, le squelette est étudié puis placé dans un dépôt archéologique, alors que pour un soldat de la Grande Guerre, il a droit à un hommage national et il est de nouveau inhumé".

Ces obsèques, cent ans après, donnent d’ailleurs lieu à des rencontres très émouvantes. Yves Desfossés se souvient avoir assisté, en 2002, à l’enterrement d’un soldat britannique, qu’il avait identifié, en présence de son fils : "C’était un très vieux monsieur de 87 ans. À ce moment là, je me suis demandé si je n’avais pas fait une boulette en retrouvant son père qu’il n’avait jamais connu, car cela aurait pu provoquer quelque chose de trop fort. Il était très content, mais j’ai eu un questionnement. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, car il n’y a presque plus de descendants directs".

Interview de Yves Desfossés par la Mission centenaire

"La Grande Guerre appartient à tout le monde"

L’archéologue refuse de focaliser sur cet aspect de son travail. Pour lui, ces recherches n’ont pas pour but de redonner une identité aux quelques 670 000 disparus encore enfouis sur la ligne de front, mais avant tout de mieux éclairer cette période. "L’équipement personnel des soldats permet par exemple de mieux connaître leur condition de vie. Cela tient souvent à peu de choses : un fond de poche avec un stylo, un porte-monnaie et éventuellement une montre", détaille-t-il.

Chaque jour un peu plus passionné par la Première Guerre mondiale, Yves Desfossés sait qu’il partage cet intérêt avec de plus en plus de Français. Sa discipline a d’ailleurs été officiellement reconnue en 2013 par le Conseil national archéologique : "La Grande Guerre appartient à tout le monde. Cela parle au grand public. Quand vous parlez de grenier gaulois et que vous montrez quatre trous de poteau sur un terrain que vous venez de décaper, les gens sont moins sensibles qu’en face d’une tranchée".