
Le Sénat français a renouvelé la moitié de ses sièges, dimanche, mais il reste essentiellement composé d’hommes. La parité n'est toujours pas à l'ordre du jour, pire, elle a régressé.
Au lendemain d’élections sénatoriales qui avaient pour but de renouveler la moitié des sièges du Sénat, la seconde chambre du Parlement français reste essentiellement composée d’hommes, avec seulement 40 femmes élues pour 139 hommes.
Le nouveau Sénat compte désormais 87 femmes et 261 hommes, soit 25 % d'élues féminines. Une légère progression - comparé aux 22,1 % lors du précédent renouvellement partiel en septembre 2011 - qui n’a pas manqué de déclencher l’ironie de certains commentateurs. "Sept femmes sénatrices en plus. À ce rythme, la parité au Sénat c'est dans treize scrutins, soit en 2059", souligne le journaliste du "Monde" Luc Bronner sur son compte Twitter.
D’autant que le nombre de femmes élues lors de ce renouvellement (22 %) est moindre que lors de la dernière élection de 2011 (30 %).
Lundi, plusieurs associations féministes ont accusé le Sénat de faire preuve de "machisme décomplexé". Osez le Féminisme a dénoncé "les stratégies développées par les partis pour contourner les règles visant à assurer la parité".
Les nouvelles règles de parité instaurées en 2013 prévoient une alternance hommes-femmes sur les listes des circonscriptions ayant un scrutin proportionnel. Elles ont en outre imposé un binôme titulaire et remplaçant de sexe différent pour les scrutins majoritaires. Or les partis n’ont présenté que 21,5 % de candidates titulaires sur les scrutins majoritaires et 21,4 % de femmes têtes de listes pour les scrutins proportionnels, "laissant peu de chance à une issue paritaire des scrutins", explique Osez le féminisme.
Les hommes s’accrochent à leur place de "tête de liste"
Dans certaines circonscriptions, pour avoir davantage de chances de conserver leur siège, les sénateurs de même couleur politique ont présenté plusieurs listes rivales avec leurs noms en tête et des femmes suppléantes différentes, comme cela est imposé par la loi. Pour Osez le féminisme il s’agit de listes "faussement concurrentes", qui permettent à chacun de "conserver son siège lors des scrutins proportionnels".
C’est le cas dans l’Eure, où l’on retrouvait trois listes UMP, dont une UDI-UMP, pour trois sièges au Sénat. Mais la stratégie a échoué, car sur les trois listes, seules deux sont passées avec à leur tête deux hommes : Ladislas Poniatowski (UMP) et Hervé Maurey (UDI). Cette dernière liste ayant obtenu un meilleur score, la seconde sur la liste de centre-droit de Hervé Maurey, Nicole Duranton, a été élue et est devenue l’une des rares femmes à faire son entrée au Sénat.
"Les partis essaient toujours de se faufiler entre les lignes des règlements pour que les hommes en place continuent à être réélus", critique Anne-Cécile Mailfert, porte–parole de Osez le féminisme. Mais pour Hervé Maurey, tête de liste qui entamera sa sixième année au Sénat, "il ne s’agit pas d’empêcher qu’une femme soit élue, c’est juste que chacun veut sauver sa peau, donc chacun fait sa liste. [...] Il faut que les choses se fassent naturellement, beaucoup de femmes trouveraient cela humiliant d’instaurer des quotas".
Des échanges houleux entre sénateurs et sénatrices
Le sénateur centriste fait partie de ceux qui avaient été impliqués dans un échange houleux en janvier 2013 au palais du Luxembourg, lors de l’examen d’un projet de loi sur le scrutin paritaire dans les départements. Ce projet de loi visait à imposer l'élection d'un binôme homme-femme de conseillers généraux dans chaque canton.
Pendant le débat, Hervé Maurey s’était emporté, qualifiant le scrutin de "totalement baroque", de "gadget", assurant que beaucoup de femmes risquaient "de se retrouver dans le rôle de potiches". Certains de ses collègues masculins avaient surenchéri. Évoquant l’idée de périodes d’essai, l’UMP Bruno Sido avait proposé de mettre en œuvre le binôme homme-femme juste pour une mandature. Ainsi, les femmes "auront eu le temps de faire leurs preuves", avait-il déclaré à l’époque, avant de commenter, moqueur, la prise de parole d’une sénatrice en s’écriant : "C’est qui cette nana ?". Piquées au vif, les sénatrices de gauche et de droite s’étaient indignées d'une seule voix contre ces propos misogynes.
Face aux critiques des associations de défense des droits des femmes, Hervé Maurey parle d’un "procès d’intention" le visant lui et ses collègues du Sénat. En revanche, il évoque un certain machisme de la part des grands électeurs – délégués des conseils municipaux, députés, conseillers généraux et conseillers régionaux. Pendant la campagne, les candidates aux sénatoriales faisaient "parfois l’objet de critiques auxquelles les hommes ne sont pas sujets", confie-t-il.
"Pas plus machistes que ceux que vous avez dans la rue "
Selon Michelle André, sénatrice socialiste du Puy-de-Dôme et ancienne vice-présidente Sénat, les hommes du palais du Luxembourg ne sont pas misogynes, en tout cas "pas plus machistes que ceux que vous avez dans la rue".
"De temps en temps, il y a eu des coups de gueule sur une remarque désobligeante, des gens stupides il y en partout". Par contre, la sénatrice reste très affectée par le faible score des femmes élues dimanche. "C’est affligeant de voir qu’avec un scrutin proportionnel, on ne peut pas faire mieux". Et elle accuse des sénateurs qui "ont sans doute une bonne éducation, mais quand ils veulent quelque chose, ils font tout pour le garder".
Pour le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, il faut trouver de "nouveaux systèmes", puisque la proportionnelle ne remplit pas sa mission d’encouragement de la parité. Lui attend de pouvoir regarder de plus près les résultats du fameux système de binôme homme-femme, qui sera appliqué pour l’élection des conseillers généraux. Ce binôme avait provoqué l’agacement de certains hommes du Sénat lorsqu’il avait été débattu.
Avec AFP