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Jihadistes français : "La justice fait de ceux qui reviennent des parias"

Parmi les Français impliqués dans le jihad en Syrie et en Irak, certains ont fait le choix du retour et de se rendre aux autorités. Loin d'être des "loups solitaires", ces Français seraient des jeunes aux idéaux bafoués.

Fin du "cafouillage", du "gros raté", du "sacré merdier". Imad Jjebali, Gael Maurize et Abdelouahab Baghdadi, présumés jihadistes de retour de Syrie, se sont rendus, dans la matinée du mercredi 24 septembre, à la gendarmerie du Caylar, dans le sud-ouest de la France. Ils ont été immédiatement placés en garde à vue et doivent être remis à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Levallois-Perret, en banlieue parisienne.

Les trois jeunes hommes seront ensuite déférés devant un juge d’instruction et mis en examen pour "association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste. Ensuite, deux options : soit ils seront placés en détention provisoire pour une durée indéterminée - le plus probable -, soit placés sous contrôle judiciaire. "Dans 99 % des cas, c’est la détention provisoire pour ce genre de profils", explique à France 24 Martin Pradel. Cet avocat au bureau de Paris, spécialiste de la lutte contre le terrorisme, défend une dizaine de "revenants", tous incarcérés.

"L’histoire classique" d’une désillusion

En bon avocat, Me Pradel a la plaidoirie affûtée. Aux motivations de départ de ses clients, il avance l’argument humanitaire : "Ils sont partis pour sauver une population civile abandonnée par la communauté internationale". Une justification communément écartée par les analystes, qui évoquent plutôt un "idéal religieux" : "Ces jeunes Français partent construire un état religieux – un objectif qui n'est pas condamnable en soi. Ils ne partent pas couper des têtes, sauf à de très rares exceptions", rappelle Wassim Nasr, expert des mouvements jihadistes pour France 24.

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Une fois sur place, ces recrues se rendent compte "de la vaste manipulation". "C'est l'histoire classique de jeunes Français ou Occidentaux qui rêvent d'un État islamique, d'une société établie sur des bases religieuses et qui, une fois sur place, sont effrayés par le fanatisme, les crimes et les tortures qui y sont pratiqués", a expliqué à Reuters Me Christian Etelin, avocat d’Abdelouahed Baghdadi. "Monsieur Baghdadi et ses deux compagnons disent avoir vécu l'horreur en Syrie et ont tout fait pour en repartir", a-t-il ajouté.

La guerre qu’ils y ont trouvée était plus sale que ce qu’ils imaginaient, l’autoritarisme religieux plus strict, et surtout la violence entre les différents groupes jihadistes plus crue. " Certains Français, à l’exception de ceux qui sont rentrés dans les rangs de l’État Islamique (EI), ont vu leur condition de vie se dégrader et ont pu être amenés à se tirer les uns sur les autres. Alors ils repartent", poursuit  Wassim Nasr.

D’autres, enfin, ont été blessés au combat et contraints à une oisiveté qui rend le départ plus dur à supporter. Les derniers sont, eux, sensibles aux supplications de familles éplorées. "Ça a l’air idiot, mais certains sont très jeunes et ne supportent pas le désarroi de leurs parents qui les supplient de rentrer", poursuit Me Pradel, dont les clients sont âgés de 16 à 30 ans. Sur les 930 ressortissants français impliqués dans le jihad en Syrie ou en Irak, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 180 en sont déjà repartis.

La difficile décision du retour

Pourtant, le choix du retour n’est pas évident. La peur des représailles à leur encontre ou à l’égard des amis restés sur place est un frein."Quand ils partent, ils ne peuvent plus faire machine arrière car ils savent qu’ils risquent d’être perçus comme des traîtres et la seule chose qu’ils peuvent espérer, c’est la mort", explique Me Pradel. Alors pour échapper aux violences, ces candidats au retour – qui se sont vus confisquer leurs papiers d’identité en Syrie - se livrent de leur plein gré en Turquie.

C'est en voulant quitter la Syrie, où ils se trouvaient depuis février-mars 2013, qu’ Imad Jjebali, Gael Maurize et Abdelouahab Baghdadi auraient été arrêtés et jugés en tant qu'espions français, selon le récit qu'Abdelouahed Baghdadi a fait à son avocat, Christian Etelin. "Ils sont persuadés d'avoir été condamnés à mort par l'État islamique. C'est pour cette raison qu'ils ont tout fait pour s'échapper et qu'ils se sont livrés à la police turque pour demander l'aide et la protection des autorités turques".

Une fois en Turquie, ils ont été maintenus dans un centre de rétention puis signalés aux autorités françaises, qui auraient dû les arrêter dès leur arrivée en France, s’il n’y avait eu le "raté". Les trois hommes se sont livrés d’eux-mêmes – preuve selon leurs avocats de leur bonne foi.

Le bruit vrombissant des parapluies qui claquent

Pourtant, ce qui les attend peut être dissuasif pour d’autres candidats au retour.  Q uelles que soient les motivations de leur départ, les conditions de leur séjour ou les raisons de leur retour, "ils sont considérés comme terroristes", résume Me Pradel. "Cela pose question sur la définition d’un terroriste. Si un homme est parti combattre aux côtés de l’Armée syrienne libre (ASL), est-il un terroriste ? S’il est parti combattre aux côtés de l’armée de Bachar al-Assad, est-il un terroriste ?", s’interroge-t-il.

L’avocat dénonce une machine judiciaire qui "abandonne toute réflexion" et donne une "image caricaturale" de ceux qui ont quitté la France pour la Syrie. "C’est le bruit vrombissant des parapluies qui claquent", métaphorise-t-il. "La justice fait de ces jeunes des parias alors que beaucoup sont les victimes d’un sectarisme évident", poursuit l’avocat, évoquant le "lavage de cerveau" de jeunes à qui l’on martèle des cours d’islam pendant des heures et des heures.

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Selon Me Pradel, une fois rentrés, ces jihadistes présumés restent attachés à l’idée de la construction d’un état islamique et à la nécessité de secourir les populations civiles. "Mais cela n’en fait pas des terroristes pour autant", explique-t-il en rappelant le cas du "loup solitaire" reste extrêmement minoritaire. "Il y a des profils extrêmement dangereux, il ne faut pas le nier. Mais ceux qui annoncent leur retour sont surtout traumatisés. Et ce dont ils ont besoin, c’est d’une aide psychologique." Une aide sporadique dans les prisons françaises, plus connues pour leurs filières d’endoctrinement idéologique que pour leur capacité à réparer les blessures de l’âme et de l’esprit.