Les autorités russes ont assigné à résidence, mercredi, l’un des plus riches hommes d’affaires russes. Vladimir Evtouchenkov est le premier oligarque à être pris pour cible par le pouvoir depuis Boris Khodorkovski en 2003.
Le pouvoir russe n’avait pas arrêté d’oligarque depuis 2003 et le démantèlement de l’empire Ioukos de Boris Khodorkovski. Cette fois-ci, c’est Vladimir Evtouchenkov, le patron de Sistema, un conglomérat touche-à-tout, qui est dans la ligne de mire du Kremlin.
Ce multimilliardaire, à la tête d’une fortune estimée à 3,4 milliards d’euros, est accusé de blanchiment d’argent et a été assigné à résidence le 17 septembre. Les autorités ont, ensuite, annoncé avoir libéré l'homme d'affaires, le 19 septembre, ce que ce dernier a nié dans la foulée.
Quoi qu'il en soit, la justice russe soupçonne des irrégularités lors du rachat du groupe pétrolier Bashneft par Sistema en 2009. Si l’oligarque de 65 ans est reconnu coupable, il risque une peine de prison de sept ans.
Pour la plupart des observateurs, les accusations de blanchiment d’argent ne sont qu’un prétexte. La véritable raison de cette attaque serait de faire une fleur à Igor Sechin, le patron du géant public du pétrole Rosneft. Ce proche de Vladimir Poutine n’a, en effet, jamais caché être intéressé par Bashneft, la dernière société privée importante du secteur pétrolier.
Sistema, l’empire touche-à-tout
Après le coup judiciaire porté à Vladimir Evtouchenkov, Rosneft a fait savoir qu’il n’avait aucune intention de faire main basse sur Bashneft. Ces dénégations n’ont guère convaincu les tenants de la thèse d’une opération politico-économique. Ils rappellent que le principal bénéficiaire du démantèlement de Ioukos, il y a dix ans, avait déjà été Igor Sechin.
Quel que soit le gagnant de cette nouvelle affaire, le grand perdant est Vladimir Evtouchenkov, un oligarque atypique. Il est l’un des rares, sinon le seul, des hommes d'affaires de l’ère post-soviétique à ne pas avoir fait fortune en se concentrant sur un seul secteur. Son empire, Sistema, a été bâti aussi bien sur des fleurons des télécommunications, du tourisme que du pétrole ou encore de l’immobilier et des médias. Ce conglomérat valait, avant les accusations des autorités russes, plus de 10 milliards de dollars en bourse.
Ce souci de la diversification, Vladimir Evtouchenkov l’a eu dès ses débuts dans les années 1990. "Nous avons d’abord obtenu le droit d’acheter 50 000 tonnes de pétrole pour les exporter ce qui nous a permis de faire un profit immense de plusieurs millions de dollars. Nous nous en sommes servis, ensuite, pour importer des ordinateurs que nous avons revendus en Russie", a raconté en 2013 ce natif de Smolensk au "Financial Times" britannique.
Une bonne fée à la mairie de Moscou
Vladimir Evtouchenkov a aussi eu une bonne fée en la personne de l’ex-maire de Moscou, Iouri Loujkov. L’oligarque et celui qui a régné en maître absolu de la capitale russe, entre 1992 et 2010, se connaissaient de longue date. Ils s’étaient rencontrés alors que tous deux étaient encore des ingénieux chimistes dans le secteur du plastique. Cette proximité a permis à Vladimir Evtouchenkov d’être, pendant plusieurs années, l’un des conseillers officiels du maire de Moscou. C’est durant le règne de Loujkov que Sistema a mis la main sur MTS, l’opérateur téléphonique moscovite qui est aussi le plus grand et profitable du pays. À cette époque, Vladimir Evtouchenkov était considéré par certains comme le roi de l’ombre des oligarques. D’autant plus que Iouri Loujkov ambitionnait de devenir président de la Russie et que rien ne semblait lui résister… jusqu’à sa disgrâce en 2010, lorsqu’il a été démis de ses fonctions par Dmitri Medvedev.
Mais le patron de Sistema avait eu le flair politique de commencer à prendre ses distances avec le maire de Moscou dès 2006. Il a ainsi pu survivre à la chute de son ami. D’autant plus qu’il en a profité, à cette époque, pour se rapprocher du clan Poutine. En 2013 encore, il se flattait d’avoir une ligne directe avec Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev. "Cela peut faciliter les choses", reconnaissait-il au "Financial Times".
Reste qu’à cette époque, les problèmes de Vladimir Evtouchenkov avaient déjà commencé. Ils remontent, en fait, au rachat de Bashneft et concernent certains actifs de ce groupe pétrolier au Bachkortostan, à l’est de l’Oural. Sistema est accusé de les avoir acquis illégalement. Plus précisément, les autorités estiment que ceux qui ont vendu ces actifs à Sistema les avaient obtenus illégalement et que le géant russe n’aurait pas dû les racheter.
D’après le "New York Times", Vladimir Evtouchenkov cherche à joindre Vladimir Poutine depuis le début de l’été pour tenter de trouver une issue à ce problème. En vain : y aurait-il des interférences sur sa ligne directe avec le Kremlin ?