Tianhe, un groupe chinois du secteur chimique, est accusé par le bras financier d'Anonymous d'avoir monté une gigantesque arnaque lors de son entrée en Bourse en juin 2014. La société, qui nie en bloc, a demandé la suspension de sa cotation.
L’une des plus importantes introductions en Bourse en Chine depuis le début de l’année est-elle aussi la plus grande arnaque dans le domaine ? Oui selon un rapport financier très détaillé d’Anonymous Analytics, un groupe lié au célèbre mouvement d’hacktivistes Anonymous, publié mardi 2 septembre sur Tianhe Chemicals. Ce document à charge a fait l’effet d’une petite bombe à la Bourse de Hong-Kong, où la cotation du groupe a été suspendue, à la demande de Tianhe, pour éviter un mouvement de panique.
Anonymous Analytics accuse les dirigeants de Tianhe d’avoir floué les investisseurs qui ont permis au groupe de lever 650 millions de dollars lors de son introduction en Bourse en juin 2014. Leur principale preuve provient de la comparaison effectuée entre la comptabilité présentée par Tianhe à l’administration fiscale chinoise et les chiffres “vendus” aux investisseurs. Le tableau semble, en effet, accablant : le chiffre d’affaires avancé avant l’introduction en Bourse est 85 % plus élevé que celui soumis au fisc et les profits y sont 100 % plus importants.
En clair, Anonymous Analytics semble avoir mis au jour une double comptabilité. Mais ce n'est pas tout. Ses enquêteurs ont constaté que l’activité réelle de ce spécialiste chinois de la chimie n’est pas aussi réelle que cela. Plusieurs clients de la société n’existent que sur le papier : des structures montées de toutes pièces ou liées à des cadres de Tianhe, essentiellement des boîtes aux lettres. Tianhe, d’après Anonymous Analytics, a donc vendu ses produits à ses propres employés dans le but de donner l’impression d’une confortable croissance annuelle.
“Erreurs factuelles” et “accusations mensongères” ?
De graves accusations que Tianhe réfute. Dans un communiqué publié mardi 2 septembre, le groupe assure que le rapport “contient des erreurs factuelles, des affirmations trompeuses et des accusations mensongères”. Que s'ensuivra “dès que possible” toutes les clarifications nécessaires.
Mais quarante-huit heures se sont écoulées et toujours rien. “Face à de telles accusations, ce silence ne donne pas l’impression que Tianhe est très à l’aise avec ce rapport”, note Jean-François Dufour, président DCA Chine-Analyse. Pour autant, cet expert de l’économie chinoise reste prudent sur ce document. “La réalité doit être quelque part entre les affirmations du rapport et les chiffres de Tianhe”, assure-t-il.
Ainsi, l’histoire de la double comptabilité ne l’impressionne pas vraiment. “Il ne faut pas croire que les données fournies à l’administration fiscale chinoise sont les bonnes car en Chine, c’est un fait avéré que les entreprises sous-évaluent délibérément leurs résultats financiers afin de payer moins d’impôts”, rappelle Jean-François Dufour.
La perspective d'un joli coup?
Les accusations auraient, en outre, plus de valeur si elles provenaient d’une source moins anonyme. Ce groupe existe depuis 2011 et affirme être spécialisé dans la traque des "fraudes en entreprise". Reste que, à l'instar du mouvement d'hacktiviste Anonymous, on ne sait pas qui est à l'œuvre en coulisse. Une chose est sûre, cependant : ce mouvement s'est déjà attaqué à plusieurs sociétés, essentiellement chinoises (Qihoo 360, Huabao International ou encore Chaoda Modern Agriculture). Leurs rapports, souvent alarmistes, ont souvent eu un retentissement boursier, sans jamais pousser, pour autant, aucune de ces entreprises à mettre la clef sous la porte.
“Il faut toujours s’interroger sur les motivations dans ce genre de rapport financier et je ne pense pas que les auteurs du document ont mis tant de temps et d’investissement dans leur enquête uniquement pour dénoncer une fraude, aussi impressionnante soit-elle”, souligne Jean-François Dufour. Anonymous Analytics prévient, d’ailleurs, que ses membres peuvent être liés à des personnes ayant un intérêt financier à voir le cours de l’action de Tianhe chuter.
Le groupe chinois reprend aussi cet argument à son compte dans son communiqué. Il y affirme avoir noté des opérations en Bourse suspectes avant la publication du rapport. “Les actionnaires et potentiels investisseurs devraient agir avec prudence et ne s’appuyer que sur les informations fournies par le groupe”, prévient Tianhe afin d’étouffer un éventuel feu boursier.
La perspective d’un joli coup boursier a-t-elle poussé Anonymous Analytics à noircir le tableau ? “Même si le rapport paraît un peu extrême, il faut tout de même qu’il y ait quelques éléments probants solides pour qu’une opération de spéculation boursière réussisse”, note Jean-François Dufour.
Mais que fait le régulateur ?
Pour lui, il y a donc probablement anguille sous roche, mais une anguille moins grande que celle exhibée par Anonymous Analytics. Mais qu’importe la taille, le coup est asséné… et pas seulement sur Tianhe. Les régulateurs boursiers chinois et la bourse de Hong-Kong ont, eux aussi, tout intérêt à ce que les conclusions du rapport soient fausses.
Comment cette double comptabilité a-t-elle pu passer à travers les mailles ? “En ce moment, les autorités chinoises cherchent à réduire la dépendance des entreprises envers les prêts bancaires et poussent vers d’autres méthodes de financement comme le recours à la Bourse. C’est probablement pour ça que le régulateur n’a peut-être pas fait suffisamment attention aux déclarations financières de Tianhe”, explique Jean-François Dufour.
Un laxisme qui pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché par les autorités chinoises. Car si les investisseurs commencent à penser que la Bourse de Hong-Kong est une jungle où tout le monde peut dire n’importe quoi sans qu’on puisse démêler le vrai du faux, ils risquent de prendre leur distance .