Le champion de cricket Imran Khan est à la tête du mouvement de contestation actuel au Pakistan. Il a réussi, en quelques années, à bâtir la troisième force politique du pays, mais son dernier coup d’éclat pourrait lui coûter cher.
De sa carrière de joueur de cricket, Imran Khan conserve son charisme de play-boy et une assurance à toute épreuve. Mais entre la victoire du Pakistan lors de la Coupe du monde de cricket en 1992 et la crise politique que traverse aujourd’hui son pays, l’homme a su se construire une image de héros politique, incarnant les espoirs d’une partie de la jeunesse pakistanaise. Son parti, le Mouvement pour la justice (PTI), est aujourd’hui la troisième force politique du pays.
L’ancien jet-setteur a ainsi réussi, le 14 août dernier, à lancer des milliers de ses partisans dans une marche sur Islamabad. Venus de Lahore, la ville d’origine d’Imran Khan, les manifestants ont installé leur campement dans le centre de la capitale, pour exiger la démission du Premier ministre Nawaz Shari. Ils demandent aussi l’annulation des élections législatives de mai 2013, entachées de fraudes selon eux – bien qu’elles aient été validées par les observateurs de l’Union européenne. Malgré les affrontements avec les forces de l’ordre, ils n’ont pas été délogés depuis.
Dans les semaines qui ont suivi sa "marche pour la liberté", Imran Khan a progressivement haussé le ton : il a appelé les Pakistanais à la "désobéissance civile", les encourageant à ne pas payer leurs factures, puis a retiré du Parlement les députés de son parti.
Mais il a aussi promis, avec son allié le prédicateur Tahir ul-Qadri, un "tsunami" d’un million de manifestants, à même de déclencher une "révolution" sur Islamabad. Et il n'a pas hésité à comparer la contestation en cours au Pakistan au soulèvement qui a chassé le président égyptien Hosni Moubarak du pouvoir en 2011… Or la vague humaine promise se réduit pour l’instant à quelques milliers de partisans.
>> À voir sur France 24 : "Reportage : la campagne électorale d'Imran Khan en mai 2013"
Pour certains observateurs, l’ancien joueur de cricket s’est brûlé les ailes avec cette offensive contre l’exécutif. En poussant l’armée à intervenir pour chasser les manifestants du siège de la télévision nationale, il ranime la menace d’un nouveau coup d’État militaire au Pakistan – un pays qui en a déjà connu quatre depuis son indépendance.
ll se retrouve par ailleurs isolé au sein de la classe politique et dans les milieux d’affaires. La puissante Fédération des chambres de commerce et d’industrie (FPCCI) a ainsi récemment fustigé la démarche d’Imran Khan. "La communauté des affaires n’autorisera pas le sacrifice de l’économie pour un ego politique", a déclaré son président Zakaria Usman.
Le jet-setteur devenu un pieux musulman
L’ancien sportif de 61 ans, issu d’une riche famille de Lahore, a pourtant réussi une ascension politique sans faux pas ces dernières années. La légende du cricket avait créé son parti dès 1996, mais il n’a percé que l’an dernier, en remportant 34 des 342 sièges du Parlement lors des législatives du mois de mai.
Imran Khan, c’est d’abord une icône nationale au Pakistan. Dans les années 1980 et 1990, lorsqu’il courait sur les terrains de cricket, il était déjà adulé par la jeunesse du pays. Avec son allure de jeune premier, il incarnait un rêve de gloire, un idéal de vie luxueuse entre Londres, Paris et New York. Mais en passant du sport à la politique, il est aussi devenu la coqueluche des médias pakistanais et internationaux, curieux de voir ce que cette métamorphose allait donner.
En mai 2013, lors des législatives, sa campagne électorale a été abondamment couverte : ses meetings passaient en direct, intégralement et en boucle sur les chaînes de télévision pakistanaises. Tout le monde s’arrachait alors l’ancien jet-setteur éduqué à Oxford. Mais la popularité d’Imran Khan est davantage due à sa carrière de sportif qu’à son action politique. Son programme pour "sauver" le Pakistan reste encore largement flou.
Cette image de play-boy mondain qui lui colle à la peau, Imran Khan tente d’ailleurs de s’en débarrasser par tous les moyens. Face aux journalistes, il refuse systématiquement de répondre aux questions sur son amitié avec Mick Jagger, son mariage avec Jemima Goldsmith, fille d’un milliardaire britannique, et sa vie d’avant en général. Désormais, l'homme séduisant et bien rasé veut apparaître comme un musulman pieux et pratiquant, tout en revendiquant une nouvelle manière de faire de la politique.
Son alliance avec Tahir ul-Qadri, l’autre leader du mouvement de contestation actuel, reflète ce besoin de caution religieuse. Le prédicateur possède deux passeports, l'un canadien et l'autre pakistanais. Proche du soufisme, il apparait comme le représentant d’un islam "ouvert".
Mais son profil lisse est loin d’être au-dessus de tout soupçon. "Depuis longtemps on considère que Tahir ul-Qadri est manipulé, si ce n’est par l’armée en tant que telle, au moins par les services secrets pakistanais. Il a fait surface sur la scène politique trop soudainement lors de manifestations importantes l’an dernier", commente Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS.
Contre les dynasties politiques et l'évasion fiscale
Une partie des Pakistanais soupçonnent Imran Khan lui-même d’être la marionnette d’un groupe d’hommes d’affaires ou de certains islamistes... Ils l’accusent d’hypocrisie en matière de religion, ou bien de ne pas être assez ferme avec les Taliban, dont les attentats ensanglantent toujours régulièrement le pays.
Il faut dire qu’en politique, l’ancien joueur de cricket est un électron libre, parfois difficile à suivre. Il se positionne à la fois comme conservateur sur le plan social, mais il répète vouloir révolutionner le Pakistan : balayer les grandes dynasties politiques – dont font partie les clans Sharif et Bhutto, éradiquer la corruption et mettre un terme à l’évasion fiscale des grandes fortunes du pays.
Ce discours aux accents populistes séduit une partie de la jeunesse, déçue par l’absence de progrès politiques et économiques, cinq ans après la fin de la dictature militaire.
"Les gens vont se ranger de mon côté parce qu’il y a trop de haine envers les Sharif… On me demande avec insistance de prendre les commandes du changement. Les gens n’en peuvent plus des coupures d’électricité et l’économie se porte mal. Il n’y a pas de bonnes nouvelles", déclarait Imran Khan en juillet dernier au quotidien américain "The Financial Times".
Le premier à dénoncer les drones américains
Autre cheval de bataille d’Imran Khan : la dénonciation des frappes de drones américains contre les Taliban. En octobre 2012, l’ancien joueur de cricket s’était illustré en organisant une caravane de plusieurs milliers de voitures vers le Waziristan. Un action destinée à protester contre le bombardement régulier de cette zone frontalière de l’Afghanistan par les drones de la CIA.
Imran Khan soutient que même si les hommes tués par les Américains sont des Taliban, ils ne doivent pas être assassinés arbitrairement, en dehors de toute procédure légale, et encore moins par une force étrangère. Il est le premier homme politique pakistanais à prendre une position aussi claire sur l’usage des drones.
Malgré l’aspect hétéroclite de ses prises de position, il a réussi à lancer un nouveau courant politique, qui attire particulièrement la classe moyenne et les étudiants. Mais pour réclamer l’annulation d’un scrutin validé par la communauté internationale et la démission d’un gouvernement en place depuis seulement 15 mois, son argumentaire est un peu mince.
Imran Khan semble finalement avoir déclenché cette fronde un peu trop tôt. Son empressement a poussé le reste de l’opposition à se liguer contre lui et provoqué la colère de l’armée. Alors qu’il était en pleine ascension, il va maintenant devoir remonter la pente.