
L'entrée des troupes allemandes en Belgique en août 1914 provoque l'exode de centaines de milliers de Belges. Accueillis en France, ils sont reçus en héros, avant d'être taxés de profiteurs.
Il y a 100 ans, fin août 1914, les combats font rage en Europe et l’armée allemande poursuit son implacable avancée en Belgique. Face à elle, les Français et les Britanniques tentent de résister. Sur les champs de bataille, les morts se comptent déjà par dizaines de milliers. Mais les soldats ne sont pas les seuls à souffrir, en ce début de Première Guerre mondiale. Les civils sont les premières victimes du conflit. En l’espace de quelques semaines, les Belges ont vu déferler sur leur pays plus d’un million de militaires allemands.
Face à cette invasion, les habitants de ce petit royaume n’ont pas d’autre choix que de fuir. En train, en charrette, à pied ou même en brouette, ils prennent la route de l’exil vers les Pays-Bas, l’Angleterre et la France. "Il faut penser qu’il y a eu 1,5 million de Belges qui ont fui en 1914. C'est-à-dire un Belge sur cinq. C’est colossal !", explique à France 24 Jean-Pierre Popelier, auteur d’un livre sur ce mouvement massif de population intitulé "Le premier exode".
Des réfugiés démunis
À Paris, gare du Nord, et dans de nombreuses villes françaises, ces réfugiés débarquent les yeux hagards et l’air perdu. "Il y a le cas de cette femme qui sort du train à Rennes, en peignoir avec son bébé dans les bras. Elle a pris le tout dernier train", raconte l'écrivain, passionné de l’histoire entre ces deux pays frères. "Le choc est total pour ces Belges. Ils ne s’attendaient pas du tout à la guerre. Ils étaient persuadés de conserver leur neutralité. (…) Du jour au lendemain, ils se retrouvent complètement démunis, à fuir dans un pays étranger, sans savoir bien parler le français pour les Flamands".
En France, les récits des violentes exactions des troupes de l’empereur Guillaume II horrifient la population. Destructions de villages, viols, déportations, fusillades arbitraires emplissent les colonnes des journaux. Les Belges sont donc accueillis avec le plus grand égard. Les Français les considèrent comme de véritables martyrs face à la barbarie allemande. Un mouvement de solidarité s’organise un peu partout dans le pays pour les aider. Les civils belges sont ainsi reçus dans plus d’une quarantaine de départements.
Même si le roi Albert 1er et son épouse décident de ne pas quitter la portion de leur pays encore libre, les autorités françaises offrent même le droit à son gouvernement en exil de s’installer à Sainte-Adresse, en Seine-Maritime. Dans ce petit bout de Normandie, une véritable mini-Belgique est recréée. Le gouvernement belge dispose d’un bureau de poste, de ses propres timbres, d’un hôpital, d’écoles et met également en place un complexe militaro-industriel qui emploie près de 15 000 réfugiés. En tout ce sont près de 350 000 Belges qui vont rester en France durant les quatre années de conflit.
Une hostilité grandissante
Mais au fur et à mesure des mois, le regard sur ces exilés change. En ces temps difficiles, certains Français se montrent de plus en plus hostiles. Ils les accusent de n’être que des profiteurs. "Les réfugiés reçoivent des aides de l’État français, ce qui correspond à ce que reçoit la femme d’un poilu combattant. Avec le temps, on trouve que cela est une charge pour le pays", explique Jean-Pierre Popelier. Les réfugiés ont également du mal à s’intégrer et à trouver du travail : "Dans des campagnes, on va préférer les prisonniers allemands qui sont d’anciens paysans, aux réfugiés belges qui viennent de Charleroi ou de Mons et qui n’ont jamais travaillé la terre".
La détresse de ces hommes et femmes déracinés ne s’arrête malheureusement pas à la fin du conflit. De retour dans leur pays, ils vont aussi subir les critiques de leurs compatriotes. "Les Belges du dedans avaient terriblement souffert de la guerre. Ils avaient eu des otages, des déportés, des fusillés. Ils avaient souffert de la faim. Ils considéraient donc que ceux qui étaient restés aux Pays-Bas, en Angleterre et en France étaient des protégés et des assistés. Ils leur en voulaient d’avoir fui devant l’ennemi, de les avoir abandonnés et de ne pas avoir partagé leur douleur", résume l’auteur du "Premier exode".
En raison de ce ressentiment, certains décident même de revenir en France. Ceux qui restent en Belgique se font bien silencieux sur leurs longs mois d’exil. Dans la mémoire collective, une chape de plomb entoure cet exode : "Cela se manifeste dans les écrits et sur les monuments. Il n’y a aucune allusion aux réfugiés sauf sur le monument de Sainte-Adresse où de chaque côté du roi des Belges, il y a une fresque avec des soldats belges et des réfugiés". Pour Jean-Pierre Popelier, cet oubli de l’histoire s’explique également par le poids de la Seconde Guerre mondiale. L’exode de juin 1940 a complètement occulté celui de 1914 : "Il est encore plus important car il touche huit millions de personnes. Les Hollandais se joignent aux Belges et arrivent en France. Cela va durer un mois et demi. C’est plus près de nous, on s’en souvient".
Désireux de maintenir le souvenir de ces réfugiés, ce passeur de mémoire entre la Belgique et la France tente de recueillir des témoignages sur cette période : "Si dans les greniers, les gens retrouvent des traces de leurs arrières-grands-parents, on est preneur ! On a vraiment oublié que les civils belges sont les grands malheureux de cette guerre".