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Liban : le Hezbollah "a embarqué l’armée libanaise dans la guerre syrienne"

Le conflit syrien semble s'être étendu au pays du Cèdre, où l'armée affronte des djihadistes venus de Syrie, près d'une ville frontalière. L'ancien député sunnite Misbah Ahdab accuse le Hezbollah chiite d’avoir importé ce conflit au Liban.

Ce qui était longtemps redouté par les Libanais a fini par arriver : la guerre en Syrie s’est invitée au pays du Cèdre. L'armée libanaise affronte, depuis samedi 2 août, des djihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) aux alentours d'Aarsal, une ville frontalière dans l'est du Liban. Cette localité est elle-même tombée aux mains du Front al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda.

Jusqu’ici, au moins quatorze militaires ont été tués ainsi que des dizaines de djihadistes venus de Syrie, dans les combats qui ont débuté après l'arrestation d’un chef djihadiste, Imad Ahmed Jomaa. Il s'agit des affrontements les plus meurtriers en territoire libanais depuis le début de la crise syrienne, en mars 2011.

Toutefois certaines voix s’élèvent au Liban, précisément au sein de la communauté sunnite, qui soutient en majorité l’opposition syrienne, elle-même majoritairement sunnite. Ces voix accusent le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite, d’avoir importé le conflit syrien au Liban, en envoyant des milliers de combattants en Syrie afin d’y épauler les troupes du régime syrien.

Interrogé par France 24, Misbah Ahdab, l’ancien député sunnite de la ville de Tripoli, rend également responsable le Hezbollah des violences qui ont lieu à Aarsal, et l’accuse d’avoir embarqué l’armée libanaise dans un combat qui n’est pas le sien. Entretien.

France 24 : Que vous inspire la situation à Aarsal, où de violents combats opposent, depuis le 2 août, l'armée libanaise à des djihadistes venus de Syrie ?

Misbah Ahdab : Pour commencer, notre cœur est avec l’armée et ses martyrs. Je refuse, en tant que citoyen libanais et sunnite modéré, de voir des soldats de mon pays, qu’ils soient chrétiens, sunnites, chiites ou druzes, mourir en menant des combats qui ne sont pas les leurs. L’armée libanaise est une ligne rouge, et je refuse qu’elle soit mise en confrontation. Or je constate qu’elle est en train d’être embarquée dans la guerre meurtrière qui oppose le régime syrien à ses opposants. Et ce, à cause du comportement irresponsable du Hezbollah, l’allié de Damas et de Téhéran. En effet, en participant de plein poids à la guerre qui se déroule en Syrie, et en combattant en Irak, ce parti est responsable de l’importation de ces conflits avec lesquels l’armée libanaise n’a rien à voir et pour lesquels elle paye un lourd tribut.

Est-ce que vous estimez, comme certains leaders politiques, que le Hezbollah a réussi à imposer son agenda au Liban ?

Cette affaire intervient en effet dans un contexte qu’il ne faut pas occulter. Les dirigeants des institutions militaires et sécuritaires s’égarent quand ils disent vouloir nous protéger de l’extrémisme sunnite, tout en protégeant, de l’autre côté, l’extrémisme chiite. Cela veut-il dire qu’un barbu chiite est moins dangereux qu’un barbu sunnite ? Il ne doit pas y avoir de place pour le deux poids, deux mesures. Nous vivons dans un pays multiconfessionnel, et chaque composante doit être respectée.

L’armée doit rester neutre et protéger les modérés, plutôt que de défendre les intérêts de groupes radicaux qui sont au service de causes régionales. Et non pas au contraire, épauler ce parti pro-iranien dans la chasse aux sorcières qu’il mène au Liban contre ceux qu’il considère comme ses ennemis, c'est-à-dire tous ceux qui affichent leur opposition au régime syrien. Ce n’est parce que l’on est contre Assad que l’on est pour les extrémistes, comme essaye de le faire croire le Hezbollah. Je précise au passage que je ne fais aucune différence entre les djihadistes extrémistes et le régime de Bachar al-Assad, qui sont aussi terroristes l’un que l’autre.

Faut-il craindre, avec cette confrontation entre l’armée et des djihadistes, une radicalisation de la tension entre sunnites et chiites ? Et quid de la menace djihadiste au Liban, redoutez-vous un scénario à l’irakienne ?

La radicalisation des esprits est déjà là. Et ce par la faute de l’extrémisme du leadership chiite et de l’incompétence du leadership sunnite. Au lieu de mener des politiques de réconciliation, et de prôner l’union nationale, le ton est à la confrontation. Le résultat est que les gens sont frustrés et dégoûtés par leurs dirigeants, et pour certains d’entre eux, la seule alternative, c’est l’extrémisme.

Concernant la menace djihadiste, bien évidemment qu’elle existe. Pourquoi le Liban serait-il épargné ? En s’engageant en Syrie, le Hezbollah a attiré ces courants extrémistes vers notre pays, alors que nous n’avons aucun intérêt à les voir chez nous. Seule la fermeture de la frontière avec la Syrie, des deux côtés, peut nous prémunir d’une telle menace. Si jamais nous voulons protéger le Liban des dangers qui le guettent, il faut faire appliquer la résolution 1701 de l’ONU, votée en 2006, qui demande au gouvernement libanais de sécuriser ses frontières en y déployant l’armée. Mais cette solution s’est toujours heurtée aux exigences du Hezbollah, qui veut rester libre de ses mouvements entre le Liban et la Syrie, afin d’acheminer des combattants et des armes. Rappelons que la ville d’Aarsal avait demandé il y a trois ans déjà à être protégée par l’armée. En vain.