Le 3 août 1914, l'Allemagne déclarait la guerre à la France. Cent ans après le début du conflit, l'historienne Margaret MacMillan a tenté de comprendre ce qui avait mené à la guerre et surtout pourquoi les dirigeants avaient renoncé à la paix.
Alors que de nombreux pays commémorent cette semaine les débuts de la Première Guerre mondiale, l’historienne canadienne Margaret MacMillan se retrouve en première ligne. Depuis la parution de son ouvrage "Vers la Grande Guerre" en janvier dernier, ce professeur de l’université d’Oxford ne cesse d’être sollicitée pour donner son éclairage sur ce conflit. Entrevue après entrevue, conférence après conférence, elle entend toujours la même question : qui a déclenché la guerre ? "Pour moi, c’est impossible de répondre parce qu’il y a beaucoup de causes. On ne peut pas prendre une personne, un pays ou un facteur pour dire qui a déclenché le conflit", explique-t-elle à France 24.
Mais Margaret MacMillan ne se lasse pas de raconter la marche vers la guerre. Cette historienne, qui a pour mission "de permettre au plus grand nombre de s’intéresser à cette période", estime que la "der des der" est unique en raison de son contexte. "En 1909, en 1912 et en 1913, il y avait déjà eu des crises diplomatiques très graves, et elles n'avaient pas conduit à la guerre. En 1914, il y a eu une combinaison incroyable de facteurs. Tout d'abord, si l'archiduc François-Ferdinand n'avait pas pris ce virage à Sarajevo, il aurait peut-être survécu, et si c’était le cas, l’Autriche-Hongrie n'aurait pas eu de raison solide pour entrer en guerre avec la Serbie", résume-t-elle. "Je pense qu’il était encore possible d’éviter la crise, mais l’Autriche-Hongrie était déterminée à détruire la Serbie et l’Allemagne était prête à la soutenir. De l’autre côté, la Russie soutenait la Serbie, ce qui n'était pas arrivé dans les crises précédentes".
"Pourquoi la paix n’a pas duré ?"
Comme ses confrères, Margaret MacMillan tente d’expliquer les raisons du déclenchement des hostilités, mais elle cherche surtout à comprendre pourquoi la paix n’a pas duré : "Je me suis dit que c’était une manière différente d’aborder la guerre. L’Europe a vécu une grande période de paix depuis la fin des campagnes napoléoniennes. Il y a eu des conflits comme la guerre franco-prussienne en 1870-71, mais ce fut bref. Les Européens ont vécu un beau siècle au XIXe avec de la prospérité et de grands progrès".
Selon elle, l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la Russie tiennent un rôle particulièrement grand dans l’embrasement du vieux continent : "En 1914, l’Autriche-Hongrie a pris la décision de s’attaquer à la Serbie, même si elle savait que la Russie allait sans aucun doute réagir. De leur côté, les Allemands ont dit aux Autrichiens qu’ils allaient les soutenir peu importe l’issue. C’était un chèque en blanc et une décision très dangereuse".
L’historienne estime en revanche que la France et la Grande-Bretagne ne souhaitaient pas se lancer dans un conflit, même s’ils n’ont pas fait grand-chose pour l’empêcher : "Les Français avaient très peur de l'Allemagne, mais je ne suis pas d'accord avec le point de vue selon lequel ils étaient revanchistes. Beaucoup de gens disaient qu'ils voulaient récupérer l’Alsace et la Lorraine, mais ils ne voulaient pas la guerre. Même Poincaré (le président français en 1914, NDLR) n’en voulait pas".
Une entrevue de Margaret MacMillan avec la mission du centenaire
Une poignée de dirigeants
Dans son ouvrage, Margaret MacMillan ne survole pas seulement les pourparlers entre les pays, elle dresse également le portrait pointilleux des dirigeants de l’époque. "Il y avait de grandes forces en jeu, comme le nationalisme, le militarisme, l'impérialisme, mais durant la crise de l’été 1914, il y avait aussi des individus au pouvoir : le tsar en Russie, le Kaiser en Allemagne, le président Poincaré en France. Ces personnages comptent et il faut étudier leurs décisions", insiste-elle. Pour l’historienne, c’est finalement une poignée d’hommes qui a conduit plus de 10 millions de soldats à la mort : "C’est comme pour la crise en Ukraine actuellement. Nous la regardons tous avec inquiétude, mais dans le fond, il y a peu de personnes qui ont de l’influence sur cette situation. Ce qui importe, c’est seulement ce que Poutine, Kerry, Obama ou encore le gouvernement ukrainien vont faire".
En rédigeant "Vers la Grande Guerre", Margaret MacMillan n’a jamais cessé d’avoir une pensée pour ces quelques hommes qui ont changé la face du monde en 1914. Même si elle connaissait le dénouement de ce tragique été, l’historienne s’est laissée envahir par une profonde tristesse : "Quand j’ai terminé les derniers chapitres, je n’arrêtais pas de leur dire : ‘S’il vous plaît, ne débutez pas la guerre !' J’étudiais les moments où ils ont pris leurs décisions, et je leur disais : ‘Stop, vous avez encore une chance de ne pas déclencher cette catastrophe !'".
Imprégnée par ses recherches, le professeur d’Oxford ne peut s’empêcher de porter un regard inquiet sur l’Europe d’aujourd’hui, notamment en Ukraine : "La situation est différente car il n’y pas autant de grandes puissances qui sont impliquées comme c’était le cas en 1914 avec les Balkans, mais cela est préoccupant car la situation peut changer très rapidement et devenir hors de contrôle". En guise de sonnette d’alarme, Margaret MacMillan rappelle que la crise ayant provoqué la grande guerre n’a duré que cinq semaines : "Les gens étaient en plein été. Ils passaient du bon temps et tout d’un coup, leur vie s’est transformée. Tout s’est passé très rapidement".