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Abou Bakr al-Baghdadi, le nouveau maître du djihad

Qui est Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l'État islamique en Irak et au levant ? Portrait d'un djihadiste extrémiste autoproclamé calife et "chef des musulmans partout dans le monde".

Le chef de guerre se veut désormais calife. "Je suis le Wali [le chef héritier], désigné pour vous diriger", a lancé Abou Bakr al-Baghadi, vendredi 4 juillet, dans une vidéo diffusée le lendemain par l’institution al-Furqan, l’"organe de presse" de l’organisation djihadiste de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Quelques jours plus tôt, le 29 juin, l’EIIL, fort de ses conquêtes en Irak et en Syrie, proclamait le rétablissement du califat, un régime islamique disparu il y a plus d’un siècle. Le même jour, son chef, Baghdadi, se désignait calife - littéralement le successeur du prophète pour faire appliquer la loi en terre d'islam - et "chef des musulmans partout dans le monde".

Dans la vidéo, l’homme apparaît tout de noir vêtu, le visage ceint d’un turban, souligné d’une longue barbe taillée en pointe. Depuis le minbar (la chaire) de la grande mosquée de Mossoul, le calife autoproclamé entame un prêche : "J'ai été chargé de vous, bien que je ne sois ni le meilleur ni meilleur que vous, donc si vous me voyez dans le juste, aidez-moi, si vous me voyez dans l'erreur, conseillez-moi et mettez-moi dans le droit chemin. Obéissez-moi tant que vous obéissez à Dieu en vous".

Le "djihadiste invisible" sort de l’ombre

Jusqu’alors, Baghdadi prenait un soin particulier à fuir toute médiatisation. Car, contrairement aux chefs d’Al-Qaïda Ben Laden ou Zawahiri, plutôt prolixes, le nouveau calife s’était jusqu’à présent tenu dans l’ombre. La presse ne disposait ainsi que de deux photos de lui (dont on n’a jamais pu prouver qu’elles le représentaient réellement), vieillies et floues.

Cette extrême discrétion lui a valu le surnom de "djihadiste invisible" et a contribué à construire mythe qui entoure aujourd’hui sa personne. De lui, on ne sait que peu de choses. Il est né en 1971 à Samarra en Irak, ville sainte pour les chiites et majoritairement peuplée de sunnites. La cohabitation entre ces deux branches de l’islam y est difficile, et ces dernières années, de violents affrontements ont éclaté entre les deux communautés.

Avant qu’il ne devienne Abou Bakr al-Baghdadi au sein de l’EIIL, l’homme était connu sous le nom d’Ibrahim al-Badri al-Samaraï. Diplômé en sciences islamiques de l’Université islamique de Bagdad, il y a enseigné la théologie pendant plusieurs années, selon des sites djihadistes. Après l’invasion américaine en Irak en 2003, il rejoint les rangs de l’État islamique d’Irak, un groupe terroriste qui s’attaque aux soldats américains et aux chiites de Bagdad. À la tête de l’organisation : le Jordanien Abou Mossab al-Zarkaoui, dont Baghdadi devient le disciple jusqu'à ce qu’il soit arrêté, en 2004 par les forces américaines. Il n’est libéré qu’en 2009. En avril de l’année suivante, il prend la tête de l’État islamique d’Irak, succédant à Al-Zarkaoui, tué en 2006, et à Abou Omar al-Baghdadi, tué en 2010. En 2013, Baghdadi fonde une nouvelle organisation englobant plusieurs groupes djihadistes en Irak et en Syrie : l’État islamique en Irak et au Levant.

"Le groupe terroriste le plus puissant du monde"

En l’espace de quelques mois, l’EIIL s'est fait connaître pour sa violence et sa cruauté, notamment en Syrie. Dans les zones que ses combattants contrôlent, comme dans la province de Raqqa, dans le Nord-Est où l’organisation a établi son fief, Baghdadi et ses hommes rétablissent le pacte d’Omar - une loi héritée des premiers temps de l’Islam imposant des règles strictes aux chrétiens - et appliquent la charia. Ainsi, Baghdadi marque les esprits en exécutant un adolescent de 15 ans près d’Alep qui avait, selon lui, insulté le prophète. L’homme punit les voleurs en leur coupant le bras. Et ses combattants, notamment en Syrie, procèdent à des crucifixions... Depuis que l’EIIL a lancé son offensive en Irak le 9 juin dernier, appuyé par des insurgés sunnites, l’organisation s’est rendue coupable de nombreux massacres et atrocités, rapportées par des ONG telles que Human Rights Watch.

L’organisation djihadiste contrôle aujourd’hui de larges pans du territoire syrien et environ un tiers de l’Irak, des terres sur lesquelles se trouvent de nombreux champs pétroliers. Interrogé par FRANCE 24 fin juin, Didier Billon, directeur adjoint de l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) et spécialiste du Moyen-Orient, estimait que l’EIIL était "le groupe terroriste le plus puissant au monde, en terme d’armes et de financement". De fait, Baghdadi est souvent comparé à Ben Laden, mais pour Jean-Pierre Filiu, spécialiste du djihadisme à Siences Po, le nouveau calife serait bien plus dangereux que l’ancien chef d’Al-Qaïda. "Al-Qaïda n’a jamais atteint, même dans son apogée datant d’avant le 11 septembre 2001, le potentiel dévastateur de Baghdadi et de son État islamique", expliquait-il sur France Inter le 6 juillet dernier. "Il est allé pratiquement au bout de ce qu'il peut faire militairement entre la Syrie et l’Irak. En revanche, en prenant le contrôle de la ville de Mossoul, il a mis la main sur un extraordinaire trésor de guerre : un demi-milliard de dollars". Et de conclure, alarmiste : "Il faut se rappeler que les attentats du 11 Septembre avaient coûté moins d'un demi-million de dollars, il a donc la capacité de faire mille 11-Septembre".