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Droit à l'oubli : quand Google "censure" l'accès à des articles de presse

Des médias anglo-saxons ont fait état, mercredi, de notifications envoyés par Google les informant que plusieurs articles ne sont plus référencés sur le moteur de recherche en Europe, à la suite de la décision judiciaire sur le droit à l’oubli.

Le “Guardian”, le site de la BBC et le “Daily Mail”. Ces trois médias britanniques ont été les premiers, mercredi 2 juillet, à révéler que Google les avait informés de la disparition pour certaines requêtes de plusieurs de leurs articles du moteur de recherche en Europe. Ce déréférencement partiel résulte de l’application par le géant américain de l’Internet de la décision du 13 mai de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le droit à l’oubli numérique.

“Nous avons le regret de vous informer que nous ne sommes plus en mesure de montrer les pages suivantes de votre site en réponse à certaines recherches sur les versions européennes de Google”. C’est ainsi que Robert Preston, le chroniqueur économique de la BBC, a appris que son article de 2007 sur les investissements hasardeux de Stan O'Neal, l’ancien patron de la banque Merrill Lynch, était dorénavant enterré dans les limbes du Web sans possibilité de le retrouver facilement via Google.

Un arbitre, des post-it et du sexe

Au "Guardian" ce sont déjà six articles qui ont subi le même sort. Trois d’entre eux concernent un ancien arbitre écossais de football qui a eu le penalty trop facile durant un match Celtic vs Dundee. Pour les autres, il s’agit d’une chronique média de 2011, d’un article concernant un avocat accusé de fraude et enfin… un compte rendu de la “guerre des post-it” sur les façades des entreprises françaises.

Le “Daily Mail” a vu le couperet Google tomber sur un article relatant les ébats de deux voyageurs à bord d’un train, sur un autre qui se faisait l’écho d’une campagne sur les réseaux sociaux contre le groupe américain Tesco et enfin sur le compte-rendu d’une plainte pour discrimination d’un musulman contre la compagnie aérienne Cathay Pacific.

Ce sont les premiers exemples concrets de l’impact sur la presse du formulaire mis à la disposition des internautes, fin mai, par Google, pour demander à effacer certaines traces numériques en Europe. Les liens ne disparaissent pas de Google mais n'apparaissent plus en relation avec certains mots clefs spécifiques, généralement le nom d'une personne mise en cause dans l'article. “C’est ce que je disais, censurer Google revient à censurer la presse”, s’est énervé sur Twitter Jimmy Wales, le fondateur de Wikipédia.

Pas de recours, pas d’explication

Nul doute que ce n’est qu’un début. Le géant de l’Internet a dû mettre en place dans l’urgence une cellule pour traiter toutes les demandes qui lui parviennent depuis la décision du CJUE sur le droit à l'oubli. “Ils en sont à plus de 50 000 requêtes”, affirme le journaliste de la BBC Robert Preston.

Le plus frustrant, de l’avis du “Guardian”, c’est “qu’il n’existe aucun recours pour faire appel de la décision de Google”. Les médias dont les articles ont ainsi été sanctionnés n’ont aucun moyen de plaider leur cause et tenter d’expliquer pourquoi des articles autour d’erreurs d’arbitrage peuvent toujours être d’actualité trois ans après les faits. C’est, pour le quotidien, la porte ouverte à une avalanche de “démarches des riches et puissants pour lisser leur image sur le Web”.

Google est, en outre, très avare en détail. La “BBC” ne sait pas pour quel motif et sur demande de qui son article sur l’ancien patron de Merrill Lynch a été mis au placard de Google. Le site hésite entre l’ex-PDG lui-même et une personne citée… dans le commentaire d'un internaute.

“Effet Streisand”

Ce nouveau système semble, de plus, connaître quelques couacs. Plusieurs articles que les internautes européens ne pouvaient plus, normalement, trouver mercredi sur Google, apparaissaient de nouveau jeudi 3 juillet. FRANCE 24 n’a, ainsi, eu aucun mal, même en passant par la version britannique du moteur de recherche et en utilisant les mêmes mots clefs, à retrouver l’article du “Guardian” sur "la guerre des post-it" en France. Contacté à ce sujet, Google n’a pas encore répondu au sujet de cette bizarrerie.

Les médias ne sont probablement pas les seuls à ne pas être ravis de cette situation. Ceux qui ont obtenus de Google le retrait des liens vers les articles incriminés risquent de ne pas y trouver leur compte non plus. La “censure” googlesque a poussé les sites à publier des articles contenant tous les liens vers les pages incriminées, certes déréférencées, mais qui continuent à exister sur la Toile.

C’est l'illustration parfaite de l’une des lois immuables de l’Internet, connue sous l’appellation “effet Streisand”. Plus on essaye de cacher quelque chose, plus cela se voit : la chanteuse-actrice Barbra Streisand en a fait l’amère en 2003. Elle avait essayé de faire disparaitre une photo aérienne de sa demeure. Conséquence : des centaines de milliers d’internautes l’avaient consulté, offrant une exposition médiatique que le cliché n’aurait probablement pas eue sinon. Nul doute que Google, qui s’est opposé à la décision de la CJUE et l’a déploré, connaît par cœur ce phénomène.