Si 80 % des personnels du Festival d’Avignon ont voté mardi 1er juillet pour le maintien de l’événement, le conflit qui oppose les intermittents à l’État n’est pas terminé. État des lieux à la veille de l’ouverture de la 68ème édition.
Pour sa première saison à la tête du Festival d’Avignon, le bizut Olivier Py n’aura pas été épargné. À peine écarté le spectre de l’élection d’un maire Front national à la mairie d’Avignon, l’ancien directeur du Théâtre de l’Odéon à Paris s’est retrouvé en butte aux menaces d’annulation du Festival.
À l’origine de cette situation, la grogne des intermittents du spectacle, qui fait suite à la validation par l’État de la nouvelle convention de l’assurance-chômage. Traduction d’un accord entre le patronat et trois syndicats (CFDT, FO et CFTC), ce texte entré en vigueur le 1er juillet préserve le statut protecteur des intermittents du spectacle, mais ces derniers lui reprochent de durcir injustement les conditions de leur indemnisation.
Après plusieurs semaines de contestation, et malgré les révisions proposées par le gouvernement, Olivier Py se retrouve donc coincé entre sa position d’artiste, qui lui imposerait d’être du côté des intermittents dont certains demandent l’annulation des spectacles, et celle de directeur de Festival, qui l’oblige à appeler à leur maintien.
Un été "pas tranquille"
Si Olivier Py considère que "sacrifier Avignon ne servirait à rien", c’est peut être par conviction, mais surtout par réalisme économique.
À lui seul, le Festival In - la programmation officielle - draine quelque 23 millions d’euros de retombées économiques pour la ville d’Avignon, et ajouté au Festival Off, il génère la vente de près de 1,5 millions de places de spectacles. Dans ces conditions, son annulation serait une catastrophe financière dont la ministre de la Culture Aurélie Filipetti a bien pris la mesure.
Pour certains syndicats, cette considération pèse moins que les torts infligés à la profession. Invité sur Europe 1, Denis Gravouil, représentant de la CGT, a agité la menace d’un été "pas tranquille", et s'est dit prêt à continuer la lutte jusqu’à la "fin de l’année". Plus mesurés, de nombreux artistes engagés sont prêts à faire des propositions. Ainsi l’acteur Nicolas Bouchaud a-t-il insisté sur FRANCE 24 sur l’importance du régime de l’intermittence – qu’il qualifie de "vertueux" - tout en écartant l’idée que l’annulation des festivals soit l’unique moyen de lutter contre la réforme.
À 24 heures de l’ouverture du Festival, et même si le vote de mardi laisse entendre qu’il devrait avoir lieu, des grèves ponctuelles ou autres manifestations sporadiques pourraient donc bien en perturber le déroulement.
Le Festival de la jeunesse et de l’émergence
Des incertitudes qui ne doivent pas faire oublier les ambitions artistiques affichées par le nouveau directeur.
Dévoilée le mois dernier, la programmation du Festival laisse présager un cru audacieux et renouvelé. Du 4 au 27 juillet, comme tous les ans, une quarantaine de spectacles se succéderont sur les scènes du In. Mais parmi les artistes invités cette année se sont glissés vingt-cinq nouveaux venus dont la moitié a moins de 35 ans. Une place accordée à la jeunesse et à la création, qui se reflète aussi dans le choix qu’a fait Olivier Py de programmer plusieurs spectacles pour le jeune public. Ainsi le "Falstafe" du jeune Lazare Herson-Macarel se trouve-t-il programmé aux côtés de grands classiques du festival remis cette année au goût du jour, tel le "Mahabharata". Trente ans après sa légendaire mise en scène par Peter Brook, le Japonais Satoshi Miyagi proposera une autre version de cette épopée de la mythologie indienne.
Côté "OFF", le Festival devrait compter quelques pépites parmi les 1 300 spectacles proposés par quelques 1 000 compagnies du monde entier. Le choix ne sera pas évident, bien que certains endroits, comme le Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone, ou celui des Carmes, lieu fondateur du OFF, ont fait depuis longtemps la preuve de leur importance comme espaces de création.
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Pour mieux comprendre le débat sur les intermittents :
• Comment les intermittents du spectacle sont-ils rémunérés en France ? En 1936, un statut particulier est créé qui prévoit un régime spécifique d’indemnisation des intermittents. Malgré la réforme de ces dernières semaines, le principe fondamental reste celui prévu par les accords de 2003 : il faut que les artistes aient travaillé 507 heures au cours des 319 derniers jours pour bénéficier d’une indemnisation pendant huit mois.
• Est-ce fondamentalement différent du régime général d’indemnisation du chômage ? Oui, puisque les salariés affiliés au régime général doivent avoir travaillé 610 heures sur les 28 derniers mois avant de bénéficier d’une allocation. Par ailleurs, ces salariés bénéficient d’un jour d’indemnisation par journée travaillée, ce qui n’est pas le cas des intermittents-artistes dont l’indemnisation est prévue sur huit mois.
• Combien ce régime particulier coûte-t-il à l’État, et combien de personnes sont concernées ? Les chiffres sont controversés. Alors que la Cour des comptes évalue le coût de ce régime à 1 milliard d’euros, l’Unedic avance le chiffre de 320 millions. Quant au nombre d’intermittents en France, un rapport du député Jean-Patrick Gille estime qu’ils étaient 254 394 à avoir cotisé à la caisse des intermittents en 2011, et que 108 658 d’entre eux avaient bénéficié d’au moins une journée d’indemnisation.
• Que prévoit la réforme en cours et qu’est-ce qui ne convient pas aux intermittents ?
- D’une part, le plafonnement du cumul entre salaire et indemnités-chômage (les indemnités ne pourront plus dépasser 5 475 euros brut).
- D’autre part, l’augmentation de deux points des cotisations sociales des intermittents.
- Enfin, le rallongement du délai de carence entre la fin des périodes travaillées et le versement des allocations.
• Que propose le gouvernement pour apaiser la grogne ? Si le gouvernement a décidé de valider la nouvelle convention, le Premier Ministre Manuel Valls a pourtant fait des propositions :
- Jusqu’à ce qu’une réforme pérenne soit actée, l’État prendra à sa charge le rallongement du délai de carence, de façon à ce que cela n’impacte pas les intermittents.
- Le budget alloué à la création et au spectacle vivant sera entièrement maintenu jusqu’en 2017.
- Une mission sera mise en place afin de redéfinir durablement le statut des intermittents d’ici le mois de décembre.