
Un employé de Greenpeace a fait perdre 3,8 millions d’euros de dons à l’ONG en réalisant de mauvais placements financiers. Spéculation scandaleuse ou simple erreur humaine ? Greenpeace, qui craint pour son image, tient à défendre son intégrité.
Une grande organisation, un employé quelque peu zélé et des millions qui partent en fumée. La mésaventure que vit Greenpeace International depuis quelques jours n’est pas sans rappeler une certaine affaire Kerviel… L’ONG écologiste basée à Amsterdam a annoncé dans la soirée du 15 juin avoir perdu 3,8 millions d’euros en donations sur le marché des taux de change.
À l’origine de l’incident : un employé du département financier qui, selon Mike Townsley, directeur communication de Greenpeace international, a commis une “grave erreur de jugement” en réalisant de mauvaises opérations financières. Afin de se protéger des fluctuations des taux de change, Greenpeace avoue passer un bon nombre de contrats avec des sociétés tierces spécialisées pour acheter des devises à taux fixe. "C'est une pratique courante pour des organisations comme la nôtre, qui ont des antennes dans de très nombreux pays", assure Mike Townsley. "Sans cela, nous serions beaucoup trop exposés aux fluctuations et nous risquerions de perdre beaucoup d'argent."
Greenpeace, qui emploie plus de 1 000 personnes dans plus de 40 pays, assure que l’employé dont l’identité n’a pas été révélée "a outrepassé ses fonctions" et pris l'initiative de conclure un de ces contrats sans le feu vert de l'organisation. Mike Townsley a toutefois écarté l’hypothèse d’une tentative de fraude, assurant que "rien ne montre en ce moment que [le fautif] a agi dans un but personnel”. La bourde étant malgré tout trop importante pour être passée sous silence, l’organisation a présenté ses excuses et licencié l’employé.
Greenpeace inquiète pour son image
La direction a indiqué qu’une enquête interne était en cours et s’attache désormais à réaffirmer ses valeurs d’éthique et de transparence vis-à-vis de ses membres. “Nous allons continuer à expliquer tout ce que nous faisons et comment l’argent des donateurs est utilisé. Plus que jamais, les employés de Greenpeace devront obligatoirement consulter le Conseil d’administration pour tout engagement supérieur a 500 000 euros”, explique Axel Renaudin, le porte-parole de Greenpeace France, contacté par FRANCE 24. En attendant que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette affaire, Mike Townsley se montre rassurant et a tenu à préciser qu’”aucune campagne de Greenpeace ne verra son budget diminuer. Nous allons répartir la perte sur les deux ou trois prochaines années en réduisant nos dépenses dans nos infrastructures et investissements, par exemple."
Avec un budget de 300 millions d’euros en 2013, les finances de Greenpeace devraient aisément survivre à cette affaire. Mais l’ONG - qui n’accepte pas les donations des entreprises ou des gouvernements et qui compte uniquement sur les deniers de ses 2,9 millions de membres - craint tout de même pour son image de marque. “Évidemment, il y a un risque que nos membres et sympathisants ne fassent pas la part des choses et pensent que nous pratiquons la spéculation alors que ce n’est pas le cas”, s’inquiète Axel Renaudin. “Il ne faudrait pas que cette affaire ait des répercussions sur la relation de confiance que nous avons mis tant de temps à construire avec nos membres.”
Les ONG, des entreprises comme les autres
Reste que ce genre de pratiques financières - plutôt l’apanage du monde capitaliste que celui du milieu associatif - soulève, aux yeux d'un certain nombre, le problème du manque de transparence des ONG. Capitalisme et caritatif sont-ils deux concepts trop paradoxaux pour fonctionner ensemble ? “Nous n’avons pas le choix”, rétorque Axel Renaudin. “Ce genre de méthode est obligatoire lorsque vous jonglez avec autant de devises différentes. Même si nous sommes une ONG, nous devons malheureusement gérer d’importants flux financiers et suivre les règles de l’économie mondiale”, défend-il.
Un point de vue que rejoint Gerald Steinberg, président de l’organisation NGO Monitor, chargée de contrôler les pratiques des associations à travers le monde. “L’époque où les groupes de défense de l’environnement ou des droits de l’Homme étaient constitués de volontaires en Jean et T-shirts est révolue. Les ONG représentent désormais un véritable business”, commente-t-il pour le site d’information du groupe audiovisuel allemand Deutsche Welle. Il regrette toutefois qu’une organisation de la taille de Greenpeace n’ait pas eu le réflexe de faire appel à un expert de la finance pour traiter un dossier aussi complexe et volatile que celui des fluctuations des taux de change. “Ce que l’on remarque parfois, c’est que chez ce genre d’ONG, la capacité à gérer ses finances est cruellement à la traîne comparé à sa capacité à soulever des fonds”, conclut-il.