
En tournée promotionnelle pour son livre "Le Temps des décisions", Hillary Clinton réinvestit l’espace médiatique et consolide sa stature de candidate démocrate à la présidentielle de 2016. Au risque d’épuiser rapidement toutes ses cartes.
Comme un petit air de campagne. En tournée promotionnelle depuis la sortie, mardi 10 juin aux États-Unis, de ses nouveaux mémoires, solennellement intitulés "Le Temps des décisions", Hillary Clinton multiplie depuis plusieurs semaines les interventions publiques. Après avoir, entre autres, donné une interview à la chaîne ABC News, publié sur son compte Facebook un message vidéo à l’adresse de ses lecteurs et distillé des extraits de son livre dans la presse internationale, l’ancienne secrétaire d’État (2008-2012) s’apprête à sillonner les routes américaines pour, officiellement, promouvoir son bouquin.
Un marathon médiatique qui, pour nombre d’observateurs de la vie politique américaine, a valeur de tour de chauffe avant la course à l’investiture démocrate, qu’elle devrait selon toute vraisemblance disputer en vue de la présidentielle de 2016. Car, bien que l’ex-"First Lady" ne se soit pas encore officiellement portée candidate, ses intentions sont aussi limpides que les eaux du lac Michigan au bord duquel elle a grandi. "Hillary Clinton, c’est un peu comme Nicolas Sarkozy en France, il n’y a pas de doute qu’elle veuille y aller", affirme le politologue Yannick Mireur, auteur de l’ouvrage "Le Monde d'Obama".
Inévitable... comme en 2008
Il faut dire que tous les voyants sont au vert pour l’ex-chef de la diplomatie américaine. Les sondages tout d’abord qui, depuis la fin de 2013, la donnent immanquablement gagnante de la future primaire. La dernière enquête d’opinion, menée par la chaîne d’information CNN, indique que 64 % des sympathisants démocrates disent vouloir lui confier l’investiture pour la prochaine présidentielle.
Financièrement ensuite, l’ex-chef de la diplomatie américaine sait déjà qu’elle pourra bénéficier de l’appui du super-PAC Priorities USA Action, le prodigue comité de soutien démocrate qui s’était rangé derrière Barack Obama en 2008. En attendant, le groupe de petits donateurs appelé "Ready for Hillary" est quant à lui déjà parvenu à lever 6 millions de dollars (4,40 millions d’euros).
En clair, Hillary Clinton est la candidate démocrate inévitable. "À l’heure actuelle, il n’y a personne qui, chez les démocrates, peut lui faire concurrence en termes de notoriété et d’expérience, observe Yannick Mireur. Pour les Américains, Hillary Clinton constitue une police d’assurance car c’est quelqu’un qui a acquis l’expérience de la machinerie politique de Washington et des grandes affaires de l’État."
"Son mandat de chef de la diplomatie américaine lui a conféré une image de femme d’État extrêmement travailleuse, combattante et efficace, abonde Vincent Michelot, professeur d’histoire politique américaine à l’IEP de Lyon. En tant que secrétaire d’État, elle a défendu la lutte contre les discriminations raciales, religieuses et sexuelles, qui demeurent des causes importantes dans l’opinion publique américaine."
Les casseroles de Bill
Reste qu’en 2008, la candidature d’Hillary Clinton à la présidentielle paraissait elle aussi évidente jusqu’à ce que Barack Obama lui ravisse l’investiture. "Elle suscite toujours des réactions ambivalentes. Pour les démocrates, elle est la candidate inévitable, mais inévitable comme en 2008, c’est-à-dire qu’elle a toutes les qualités requises, la connaissance des dossiers intérieurs et extérieurs mais aussi toutes les casseroles attachées à la présidence de son mari Bill Clinton, remarque Anne Deysine, professeur spécialiste des États-Unis à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Il faut se rappeler qu’avant même qu’on ne sorte Monica Lewinsky du placard, il y eut toute une série de scandales (Travelgate, Troopergate, etc.) que les républicains, à l’époque, avaient essayé de monter en épingle."
Pour Vincent Michelot, toutefois, la période 1993-2001 qu’Hillary Clinton a passée aux côtés de son mari à la Maison Blanche ne constitue plus forcément un handicap : "Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la présidence de Bill Clinton, les éléments négatifs de ses deux mandats s’estompent pour céder la place à une vision plus romancée d’années de forte expansion économique, d’équilibre budgétaire et d’une période de paix marquée par la fin de la Guerre froide."
En s’imposant comme une quasi évidence, la candidature d’Hillary Clinton à la présidentielle de 2016 risque toutefois de froisser quelques sensibilités au sein de son parti. "Le côté négatif, c’est que certains démocrates trouvent aberrant qu’elle soit la personnalité inévitable, affirme Anne Deysine. N’y a-t-il pas d’autres personnes à présenter ? Ne peut-on pas ouvrir davantage le jeu ? Faut-il encore subir un deuxième Clinton ?", s’interrogent quelques-uns d’entre eux.
La machine à rumeurs républicaine
Malgré le prestige de son nom et de son curriculum vitae enrichi de quelques années passées à Washington, l’ancienne Première dame n’est pas à l’abri d’un scénario à la 2008. "Il faut se méfier des campagnes d’investiture dans lesquelles un candidat s’impose comme inévitable. C’est pratiquement mécanique, dès lors qu’un candidat est perçu comme tel, il suscite une moindre adhésion populaire", affirme Vincent Michelot. "Lors de la primaire démocrate, un candidat plus jeune pourra dire : 'les Clinton ont fait leur temps, qu’il est temps de tourner la page et de remplacer le logiciel par une nouvelle génération qui a une expérience de gestion de politique locale', ce qui reste une priorité aux yeux des citoyens américains", explique pour sa part Yannick Mireur.
D’autres pourront également arguer qu’une personnalité de premier plan comme Hillary Clinton peut, paradoxalement, entraîner la défaite du parti à la présidentielle. "Certains se demandent si le fait d’être si visible ne sera pas contre-productif et n'entraînera pas un déchaînement des républicains", rapporte Anne Deysine.
Ces derniers n’ont d’ailleurs pas attendu que la course à l’investiture démocrate soit lancée pour déclencher les hostilités. Après avoir essuyé une salve de critiques pour sa gestion de l'attaque du consulat américain de Benghazi, qui a coûté la vie à l'ambassadeur Christopher Stevens et à trois autres Américains en 2012, Hillary Clinton fait aujourd’hui l’objet d’attaques plus personnelles. Dans le collimateur des républicains : l’état de santé de l’ancienne sénatrice de l’État de New York, aujourd’hui âgée de 66 ans. Depuis son hospitalisation en décembre 2012 pour une commotion cérébrale due à une chute, quelques ténors du Grand Old Party insinuent que la candidate démocrate putative est bien plus malade qu’elle ne le dit. "Les républicains ont commencé à lancer la machine à rumeurs en prétendant qu’elle aurait une tumeur au cerveau. Cette offensive montre bien qu’elle est pour eux une candidate sérieuse", remarque Anne Deysine.
Attendre les élections de mi-mandat
L’intéressée l’a bien compris qui, en dépit de son retour récent dans l’espace médiatique, retarde l’annonce officielle de sa candidature, afin de ne pas trop galvaniser les troupes adverses. "En ce moment, Hillary Clinton est tout simplement dans une position où elle protège et consolide le terrain sur lequel elle pourra éventuellement déclarer sa candidature. Mais le faire trop tôt serait catastrophique car cela ferait d’elle automatiquement une cible. Après deux ans d’attaques, elle se présentera à la primaire avec une image en bien mauvais état", analyse Vincent Michelot.
De fait, le calendrier politique américain lui impose d’attendre au moins les élections de mi-mandat en novembre prochain, qui risquent de redessiner le paysage politique des États-Unis. "Il est peu probable que les démocrates aient la majorité à la Chambre des représentants, mais possible en revanche que les républicains regagnent la majorité au Sénat. Avec des républicains majoritaires dans les deux chambres, cela donnera deux années très peu productives en matière de politique et cela changera la tonalité du débat pour la primaire", explique Vincent Michelot.
En fonction du résultat des consultations, Hillary Clinton devra alors déterminer le meilleur moment pour se lancer officiellement dans la course à l’investiture démocrate. De ce choix, se jouera peut-être son destin politique. Le titre de ses mémoires, "Le Temps des décisions", prendra alors tout son sens.