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"1 000 Days of Syria" : la guerre en Syrie dont vous êtes le héros

Le journaliste américain Mitch Swenson raconte la guerre en Syrie à travers un récit interactif sur le modèle des livres "dont vous êtes le héros". Un choix osé qui, selon lui, permet d’aborder toutes les facettes de ce conflit hors norme.

Ce sont trois histoires distinctes, trois trajectoires humaines qui se déroulent durant les 1 000 premiers jours de la guerre en Syrie, entre le 15 mars 2011 et le 9 décembre 2013. Il y a celle d’une mère de deux enfants à Deraa (proche de la frontière jordanienne), d’un jeune rebelle opposant à Bachar al-Assad originaire d’Alep et d’un journaliste freelance travaillant pour un quotidien new-yorkais.

Aucun d’eux n’existe vraiment. Ce sont les personnages d’un jeu vidéo, un récit "dont vous êtes le héros", une sorte de nouvelle interactive écrite par le journaliste américain Mitch Swenson. Il a mis six mois à finaliser ce projet "ludo-éducatif" original, baptisé "1 000 Days of Syria" (1 000 jours en Syrie) et mis en ligne jeudi 22 mai.

Le "joueur" qui se lance dans l’aventure incarne l’un des trois personnages inventés par Mitch Swenson et, au fil du récit de la guerre syrienne, fait des choix cruciaux pour survivre. Dans l'un des chapitres, le jeune rebelle d’Alep reçoit le mail d’un homme, qui se prétend également opposant, clamant détenir une vidéo prouvant les atrocités du régime syrien. En lui répondant, le joueur condamne son personnage à tomber entre les mains des services de renseignement et à finir en prison où il risque fort de mourir. D'autres choix s'ouvrent à lui mais ils peuvent, à chaque fois, se révéler dangereux. "Il y a beaucoup de manière de mourir, et pas vraiment de victoire à la fin du jeu", reconnaît Mitch Swenson dans une interview avec FRANCE 24.

Guerre en Syrie vs Miley Cyrus

Si les trois protagonistes de ce jeu sont fictifs, les faits et situations décrits sont, quant à eux, bien réels. Mitch Swenson s’est inspiré de sa propre expérience sur le terrain, il a passé une dizaine de jours sur place, rencontré des combattants, des trafiquants et passé du temps avec un groupe de rebelles. Il a aussi puisé, explique-t-il à FRANCE 24, dans les innombrables témoignages, articles et documents disponibles sur Internet.

Tout son récit est truffé de liens vers des articles pour recontextualiser chaque épisode de ce récit interactif de 200 pages. "En impliquant les internautes de cette manière, j’espère qu’ils se sentiront davantage concernés par ce conflit", raconte-t-il. Cette forme de récit interactif lui a également permis d’aborder le plus d’aspects possibles "d’un conflit multifacette". Il y évoque, ainsi, outre les combats, les enjeux religieux, les questions de surveillance massive ou encore les problématiques sanitaires.

Il a senti l’urgence de raconter "différemment" ce qui se passait sur place lors de son retour à New York, en octobre 2011. "J’avais entendu qu’il y avait neuf fois plus de personnes qui cliquaient sur des liens d’articles parlant de Miley Cyrus que sur la guerre", a-t-il expliqué au quotidien britannique "The Guardian".

Un décalage que Mitch Swenson a du mal à accepter : "La guerre en Syrie est ce que j'ai vu de pire", assure-t-il. Pourtant, malgré son jeune âge - 26 ans - ce journaliste est rompu aux zones de conflit. En plus de la Syrie, il a couvert la révolution égyptienne, s’est rendu en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud, en Libye et en Ukraine. Mais "l’utilisation d’armes chimiques [notamment sur des populations civiles, NDRL] et le fait que n’importe qui peut être enlevé n’importe quand font, à mon sens, de la Syrie le pays le plus dangereux du monde en ce moment", estime ce journaliste, qui participe au blog "War is boring" du correspondant de guerre David Axe.

La guerre en Syrie peut-elle être ludique ?

Reste que ce mélange des genres, entre récit de faits réels, épisodes romancés et aspects ludiques, a des limites dont Mitch Swenson est conscient. Il reconnaît ainsi qu’il lui a été "très difficile de se mettre dans la peau d’une mère de deux enfants pour imaginer ce qu’elle peut ressentir", alors que lui-même n’a pas d’enfants.

Plus généralement, certains pourraient être choqués qu’on puisse tirer des événements meurtriers en Syrie une expérience ludique. Mitch Swenson reconnaît que sa démarche peut être mal comprise. "Mon intention n’est nullement d’amuser les joueurs avec le récit des morts, ou d’en profiter d’une manière ou d’une autre", affirme-t-il sur son site. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas inclure d’images ou de vidéo du conflit en Syrie. "Cela pourrait donner une dimension divertissante à l’ensemble alors que l’expérience purement textuelle est plus viscérale et oblige les joueurs à se projeter dans le récit", explique-t-il à FRANCE 24.

Un pari osé qui connaît déjà un relatif succès compte tenu du sujet abordé. Plus de 50 000 pages ont été consultées le premier jour de mise en ligne de "1 000 Days of Syria". Mitch Swenson compte, en outre, continuer à enrichir son récit interactif avec trois autres personnages "jouables". L’un d’entre eux devrait être un combattant à la solde du régime de Bachar al-Assad. "C’est clairement un terrain glissant et un personnage qu’il ne sera pas aisé à construire", reconnaît-il.