Sans surprise, l'élection présidentielle libanaise a été reportée sine die, jeudi, faute d'un candidat de compromis à trois jours de la fin du mandat du président sortant Michel Sleimane.
Les députés libanais étaient convoqués une nouvelle fois, jeudi 22 mai, pour élire un successeur à l'actuel président Michel Sleimane, dont le mandat arrive à échéance le 25 mai. Sans surprise, faute d’un quorum des deux-tiers (86 députés sur 128), cette cinquième séance plénière a connu le même échec que celles qui l’ont précédée, mis à part la première qui s’est tenue le 23 avril. Faute surtout d’un candidat de compromis. Car la division profonde de l’échiquier politique empêche toute entente, comme l’exige le fonctionnement de cette démocratie consensuelle.
En effet, le Parlement libanais est profondément divisé entre le "bloc du 14 mars", hostile au régime syrien, et celui du "8 mars" mené par le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite, qui se bat en Syrie aux côtés de l’armée syrienne afin de maintenir au pouvoir le président
Bachar al-Assad. Et nul ne veut d’un président hostile à sa ligne politique ou issu des rangs de la partie opposée. Jusqu’ici ce sont les députés du "8 mars" qui ont joué la carte du boycott, empêchant que le quorum ne soit atteint.
Ce blocage fait non seulement craindre une vacance de pouvoir à la magistrature suprême, même si les prérogatives du président sont limitées, mais aussi une paralysie de la scène politique libanaise.
Car selon la Constitution, si l’élection n’est pas tenue au cours des dix derniers jours du mandat du président en exercice, le Parlement ne peut plus légiférer car il a l’obligation de ne tenir que des sessions présidentielles. Côté exécutif, le gouvernement prendrait les commandes, comme entre 1988 et 1990 et entre 2007 et 2008 lorsqu’une telle situation s’était présentée.
"Le blocage peut durer indéfiniment"
Le Liban, en proie à une contagion de la guerre en Syrie, qui exacerbe la tension entre musulmans sunnites et chiites,
et à un afflux massif de réfugiés syriens - plus d’un million soit le quart de la population libanaise - a plus que jamais besoin que ses institutions fonctionnent à plein régime afin d’éviter toute source de déstabilisation.
Interrogé par FRANCE 24, Samir Frangié, ancien député du "14 mars" et intellectuel libanais, estime que "le blocage peut durer indéfiniment". Aucun des deux camps ne peut en effet imposer son candidat à l’autre. "Seul un candidat de compromis peut débloquer la situation, mais il n’en existe pas pour le moment car aucune partie ne s’est encore décidée à le chercher", poursuit-il. En d’autres termes, le "14 mars" et le "8 mars" se livrent à une partie d’échec où le temps n’est pas forcément décompté.
"Le problème est qu’au Liban, tout le monde lie cette élection à la négociation virtuelle, puisqu’elle n’a donné aucun résultat palpable pour le moment, entre l’Iran, les Américains, et les Saoudiens, qui tient en haleine la région, juge Samir Frangié. Il faut espérer que les deux camps n’attendent pas une telle échéance pour calmer le jeu et se mettre à discuter car nul ne peut se permettre de mettre en péril le pays".
La présidentielle libanaise tributaire d’un accord sur la crise syrienne et sur le dossier nucléaire iranien ? Une situation qui laisse, au grand dam des Libanais, la porte ouverte au jeu des influences extérieures (Arabie saoudite, Iran, Syrie, Occident), dont la scène politique du pays du Cèdre n’a jamais réellement pu - ou voulu - se débarrasser depuis son indépendance en 1943. "Lors des dernières élections présidentielles, aucun candidat ne pouvait espérer l’emporter sans un feu vert du régime syrien [la Syrie a occupé le Liban entre 1976 et 2005, NDLR]", rappelle à FRANCE 24, un responsable politique libanais ayant requis l’anonymat.
Ce dernier affirme que certaines forces politiques libanaises proches du régime syrien, affaibli par la crise en Syrie, attendent que Bachar al-Assad soit réélu - la présidentielle syrienne est prévue le 3 juin - pour être en position de force avant de négocier. Et ce, même si Damas a perdu de son influence au Liban et semble avoir passé la main à Téhéran. "Guerre oblige, la Syrie ne peut plus intervenir comme par le passé, souligne Samir Frangié. C’est désormais l’Iran qui gère directement le camp pro-syrien au Liban".
Geagea versus Aoun ?
Concrètement sur le terrain, deux candidats maronites (le président de la République doit, selon l'usage, être issu de la communauté chrétienne maronite) sont officiellement candidats : le chef du parti des Forces Libanaises Samir Geagea, ancien seigneur de guerre soutenu par le "14 mars" et opposant farouche du régime syrien et du Hezbollah, et celui du député Henri Helou, dont la candidature symbolique est pilotée par le leader druze Walid Joumblatt. Lors de la première séance plénière, Samir Geagea avait obtenu 48 voix contre 16 voix pour Henri Hélou, tandis que 52 députés avaient voté blanc.
L’autre nom qui risque de s’ajouter à la liste est celui du général Michel Aoun, ancien chef d'état-major, chef du Courant patriotique libre (CPL) et allié politique du Hezbollah. Ce dernier, fort du bloc parlementaire le plus fourni en députés chrétiens, s'est dit prêt à se présenter en cas de consensus autour de son nom. Chose compromise tant pour Michel Aoun que pour Samir Geagea, qui polarisent le rejet de leurs camps adverses respectifs malgré une importante base populaire. Ironie de l’histoire, en 1988 déjà, à l’aube d’une présidentielle qui n’aura finalement lieu que deux ans plus tard, les noms de ces deux rivaux historiques étaient déjà en circulation.