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, envoyé spécial à Cannes – En lice pour une troisième Palme d’or historique avec "Deux jours, une nuit", les frères Dardenne n’atteignent pas les sommets de leurs précédents films. Passé réalisateur pour "Lost River", Ryan Gosling, lui, rate carrément la marche.

À mi-parcours du marathon cannois, les Palmes d’or commencent à fleurir de partout. Sur Twitter où, à peine la séance finie, les festivaliers délivrent leurs bons et leurs mauvais points, chaque film entré en compétition se voit désormais attribuer un fictif Saint-Graal. "Maps to the Stars" de David Cronenberg fut le premier, dimanche, à entrer dans la danse des attributions temporaires, presque immédiatement suivi, lundi, par "Foxcatcher" de Bennett Miller et "Still the Water" de la plus confidentielle Naomi Kawase. Puis, mardi, vinrent les frères Dardenne dont le très attendu "Deux jours, une nuit" avec Marion Cotillard a récolté les suffrages quasi unanimes de la critique.

Quiconque s’est retrouvé un jour en compétition avec les Belges sait qu’ils sont de redoutables adversaires. Depuis leur première montée des marches il y a 15 ans, les deux cinéastes ont systématiquement vu leurs films récompensés. Le tableau de chasse est impressionnant : deux Palmes ("Rosetta" en 1999, "L’Enfant" en 2005), un Grand Prix ("Le Gamin au vélo" en 2011), un prix du scénario ("Le Silence de Lorna" en 2008) et un prix d’interprétation masculine pour la magnifique prestation d’Olivier Gourmet dans "Le Fils" (2002).

En cas de troisième sacre sur la scène du Grand Théâtre Lumière, samedi 25 mai, les "frères" entreraient alors au panthéon du festival. Ils seraient tout bonnement les seuls réalisateurs à compter trois Palmes d’or dans leur salle des trophées. Sauf que, disons-le tout de suite, "Deux jours, une nuit" n’est pas leur meilleure réalisation. Pas le même souffle que "Rosetta", pas la même animalité que "Le Fils", pas la même intensité que "L’Enfant". Mais les Dardenne étant ce qu’ils sont - des scénaristes de génie pour commencer -, même leur moins bon film est un bon film.

Mise en scène sobre, discrète, presque banale

Mère de deux enfants, Sandra (Marion Cotillard) sort timidement d’une dépression qui l’a tenue un temps éloignée de l’usine où elle travaille. Tout juste revenue de son congé maladie, elle apprend qu’en échange d’une prime, ses collègues ont consenti à son licenciement. Mais Sandra dispose encore d’un week-end pour les convaincre de renoncer à leur bonus et sauver ainsi son emploi.

Contrairement à ce que laissent entendre son titre et son synopsis, "Deux jours, une nuit" ne laisse transparaître aucune urgence. Ce que l’on aurait pensé être une course contre la montre effrénée et volontaire relève de la grande manœuvre exécutée à contrecœur. L’idée même d’affronter ses collègues, de répéter inlassablement le même argumentaire et d’entendre, peu ou prou, les mêmes réponses oblige Sandra à mobiliser une énergie que ses récents troubles psychiques ont fortement entamée. Et il faudra toute l’affection et la prévenance de Manu, son époux, pour que la jeune femme ne retombe dans les bras de ses vieux démons.

La véritable force du film tient au fait qu’il démystifie la dépression. Ici, point d’esbroufe mais de la délicate attention. Même dans les moments de crise, la mise en scène reste sobre, discrète pour ne pas dire banale. L’image est clémente, la caméra et le montage apaisés. Plus qu’un film social sur la solidarité, "Deux jours, une nuit" est un récit de l’intime. Ce que les Dardenne mettent en scène, c’est d’abord la lutte intérieure d’une femme contre la dépression ainsi que le combat d’un époux qui œuvre à ses côtés pour la sauvegarde du couple. Une belle histoire d’amour propre. Une belle histoire d’amour tout court.

Ryan Gosling se prend les pieds dans le tapis

On l’attendait moins que les frères Dardenne, mais sa sélection dans la section Un certain regard suscitait quand même la curiosité. Acteur beau-gosse de la branchitude cinématographique depuis son rôle de cascadeur solitaire machouilleur de cure-dents dans le déjà culte "Drive" de Nicolas Winding Refn, Ryan Gosling a travaillé avec des cinéastes suffisamment intéressants pour laisser espérer que son premier film en tant que réalisateur serait de bonne facture. Nous attendions une surprise, nous avons eu droit à un chapelet de citations visuelles.

Visiblement dépassé par l’ambition de son projet, le Canadien s’est complètement perdu dans les limbes du cinéma arty. Pour faire court, son "Lost River" est un indigeste et amphigourique gloubi-boulga sur fond de crise des "subprimes". Où sont convoqués pêle-mêle le "Silencio" de David Lynch, le "Only God Forgives" de Nicolas Winding Refn (encore lui) ou le "Holy Motors" de Leos Carax.

Résumons l’affaire : nous sommes dans le sud des États-Unis, Billy (ravissante Christina Hendricks de la série "Mad Men") vit avec ses deux enfants dans une maison dont elle ne peut payer les exorbitantes traites (à cause de ces fameux emprunts toxiques, les susnommés "subprimes"). En quête d’argent frais, elle accepte de travailler comme "show-girl" dans un énigmatique cabaret burlesque où se trame en fait de biens sombres histoires. L’établissement cache en effet dans son sous-sol un énigmatique sarcophage en plastique qui semble exciter les pervers (un sarcophage ? en plastique ?).

Parallèlement, Bones (Iain De Caestecker), l’aîné de Billy, découvre une ville immergée par les eaux. Traqué par un dangereux caïd, il décide d’y aller récupérer ce qui ressemble à une statue de dinosaure. Il y a aussi un gentil chauffeur de taxi (notre Reda Kateb national), dont on ne sait trop ce qu’il vient faire dans cet embrouillamini. Mais, à la fin, tout le monde semble content de le voir. Est-ce nous qui avons manqué quelque chose ou Ryan Gosling qui a raté son passage derrière la caméra ?
 

-"Deux jours, une nuit", de Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Olivier Gourmet... (Compétition)

-"Lost River" de Ryan Gosling, avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Eva Mendes... (Un certain regard)