Deuxième déception du festival après "Grace de Monaco", l'insignifiant thriller "Captives" d’Atom Egoyan a essuyé les premières huées de la compétition. Avec son "Sommeil d’hiver", le Turc Nuri Bilge Ceylan signe un fascinant huis-clos rural.
Ca y est, on le tient. Le premier film de festival en compétition à essuyer les huées de la presse s’appelle "Captives". Il parle du mystérieux enlèvement d’une fillette qui, huit ans après les faits, pourrait être enfin élucidé. Il est signé Atom Egoyan, l’un des trois réalisateurs canadiens en lice pour la Palme d’or 2014.
C’est presque faire trop d’honneur à ce thriller ennuyeux et enneigé (à se demander si le Canada a un jour connu le printemps ?) que de le conspuer publiquement comme il l’a été vendredi 16 mai. "Captives" n’est pas bon, mais pas révoltant. Une vétille sans intérêt.
Comme un bon vieux Columbo
Qu’attendait-on au juste d’un cinéaste qui n’a rien produit de transcendant depuis "Exotica" ? C’était il y a 20 ans et, depuis, Atom Egoyan tourne en pilotage automatique. Son 14e long-métrage met une énième fois en scène ses obsessions de cinéaste : maltraitance infantile, bouleversement de la cellule familiale, résurgence des blessures passées, connexité des destins... Le tout tricoté sur un complexe canevas narratif.
Comme dans un bon vieux Columbo du dimanche soir, "Captives" délivre d’emblée l’identité du méchant. C’est même lui qui ouvre le film et la porte derrière laquelle il garde la jeune fille en captivité. Il ressemble au Kevin Spacey de "Seven" mais dans sa version opérette (cela n’augurait déjà rien de bon). On l’aura donc compris ce qui intéresse le cinéaste est moins le dénouement de l’affaire, d’ailleurs assez vite expédié, que la reconstitution de son puzzle policier.
Mais la crainte de délivrer trop de pièces à la fois conjuguée au besoin constant d’insuffler du mystère dans cette mécanique bien huilée pèse bien trop lourdement sur le film pour captiver (sans mauvais jeu de mots). Maigre consolation, on retiendra que l’acteur Ryan Reynolds en père ravagé par le rapt de sa fille s’en sort largement mieux que Hugh Jackman dans "Prisoners" qui bordait peu ou prou la même histoire.
Dans le genre "énigmatique enlèvement d’enfants", on préfèrera largement "Top of the Lake", série aux allures de manifeste féministe produite et co-réalisée par… la présidente du jury cannois en exercice, Jane Campion. Sera-t-elle sensible à l’insignifiant "Captives" ?
Grand habitué de la Croisette, Nuri Bilge Ceylan a eu le droit, vendredi après-midi, à un accueil plus chaleureux de la part des festivaliers. Large ruban noir sur la poitrine en hommage à ses compatriotes morts dans l’explosion d’une mine mardi, le cinéaste turc s’est présenté au Grand Théâtre Lumière sous les applaudissements nourris du public. Il faut dire qu’entre "Uzak" en 2003 et le magnifique "Il était une fois en Anatolie" en 2011, le réalisateur a eu plusieurs fois l’occasion de laisser son empreinte sur Cannes.
Les 3 heures 15 de son "Sommeil d’hiver" présageait un récit encore plus ample et une sophistication visuelle plus ambitieuse. C’était compter sans la capacité insoupçonnée de Ceylan à prendre son audience à contre-pied. A la différence de ses opus précédents, le Turc délaisse ici les grands espaces pour les pièces confinées d’un petit hôtel d’Anatolie qu’un comédien à la retraite vivant de rentes immobilières tient avec sa jeune épouse et sa divorcée de sœur. Coquet et rassurant foyer pour les touristes étrangers de passage, l’établissement deviendra le théâtre de longs et bavards face-à-face durant lesquels les protagonistes laissent éclater leur rancœur ramâchée.
Cinéaste de la contemplation, le réalisateur ne nous avait pas habitués à une telle prodigalité de dialogues. Encore moins à une telle économie de mise en scène. Pas tout à fait le chef d’œuvre acclamé par les uns, encore moins l’insupportable pensum décrié par les autres, "Sommeil d’hiver" est un cruel et fascinant huis-clos rural sur l’insidieux mépris des parvenus. Mépris de classe, mépris intellectuel, mépris amoureux incidemment déversés par une nouvelle bourgeoisie turque se pensant d’une moralité exemplaire.
-"Capitves" d'Atom Egoyan, avec Ryan Reynolds, Rosario Dawson, Scott Speedman... (Compétition)
-"Sommeil d'hiver" de Nuri Bilge Ceylan, avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbag... (Compétition)