La vente de deux navires de guerre par la France à la Russie fait l’objet de vives critiques, alors que la crise s'aggrave en Ukraine. FRANCE 24 revient sur les origines et les enjeux de cette vente stratégique.
Le Mistral, fleuron de l'industrie française
Ces navires, des bâtiments de projection et de commandement (BPC), sont considérés, avec le porte-avion Charles de Gaulle, comme les joyaux de la marine française. Ce bateau est surnommé le "couteau suisse" de la marine, tant il est polyvalent. Il est capable de transporter une quinzaine d'hélicoptères, une soixantaine de véhicules blindés, une dizaine de chars ou d'engins amphibies pour une opération de débarquement. Il peut aussi contenir 700 combattants, un état-major de grande dimension et un hôpital.
…mais pas un navire de combat
Pour autant, il sera fourni sans armement à la Russie, un détail d’importance, alors que l’Occident tente de freiner par des sanctions économiques les velléités militaires de Moscou. "Nous vendons essentiellement un gros navire, bien conçu pour le transport de personnels ou de matériel, mais en aucun cas un navire de combat, puisque les bâtiments vendus à la Russie ne sont pas armés", rappelle Philippe Migault, spécialiste des questions de Défense à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
"Le Mistral représente incontestablement un plus en matière de déploiement de forces, de projection de puissance, il n’en est pas moins un navire construit selon des process utilisés par l’industrie de la construction navale qui offrent moins de garanties en termes de performances au combat", poursuit-il.
Un contrat stratégique à 1,2 milliard d’euros
Les contrats signés sous Nicolas Sarkozy en 2011 prévoient la construction de deux bâtiments de type Mistral pour un montant de 1,2 milliard d’euros, le "Vladivostock" et le "Sebastopol". La commande a redonné de l’air aux chantiers STX de Saint-Nazaire, jusqu’alors en proie à de graves difficultés économiques, et a permis de créer 1 000 emplois à temps plein sur quatre ans.
L’annulation des commandes impliquerait un remboursement intégral du contrat, ainsi que le paiement de pénalités conséquentes. "D’un côté, nous ne pouvons envisager de livrer en permanence des armements compte tenu du comportement [des Russes, NDLR]. De l’autre côté, il y a la réalité de l’emploi et de l’économie", a résumé Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, en mars, sur Europe 1, interrogé sur la pertinence de ces livraisons, en pleine crise ukrainienne.
Critiques européennes et asiatiques
Dès le début des négociations entre Moscou et Paris, les pays baltes avaient immédiatement exprimé leurs préoccupations, en 2008, d’autant plus vives que ces pourparlers avaient été engagés dans la foulée de l’invasion, par la Russie, de deux provinces géorgiennes : l’Ossétie du sud et l’Abkhazie. Le chef d’État major de la marine russe, Vladimir Vysotsky, ne s’était pas empressé de les rassurer. Il s’était réjoui de ces perspectives d’achat en affirmant qu’avec un bateau comme le Mistral, les opérations en Géorgie se seraient conclues "en quarante minutes au lieu de 26 heures".
En 2011, le Japon a, à son tour, fait part de ses préoccupations lorsque la Russie a fait savoir qu’elle déploierait ses tout nouveaux navires de guerre dans le Pacifique. Les deux pays se disputent la souveraineté des îles Kouriles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Brouille entre Paris et Washington
Washington n’a pas non plus ménagé ses critiques et ses mises en garde au sujet de la vente de ces navires. C’est en effet la première fois qu'un pays de l'Otan accepte de fournir du matériel militaire aussi sensible à la Russie, qui considère l'Alliance atlantique comme un "ennemi".
"Les Américains sont hostiles par principe à toute collaboration militaire réelle entre la Russie et un État membre de l’Otan", rappelle Philippe Migault, pour qui ces réserves sont le fait de "quelques faucons qui n’ont jamais réussi à faire leur révolution culturelle à la fin de la guerre froide. [...] Les États-Unis n’ont jamais fait mystère du fait qu’ils s’opposeraient à toute coopération entre l’ouest et l’est de l’Europe, tout partenariat, toute intégration susceptibles de remettre en cause leur 'leadership' sur notre continent et au-delà dans le monde", poursuit-il.
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